Carrières de Lumières – Immersion grand format (partie 1)

Le spectacle des Carrières de Lumières, aux Baux-de-Provence, repose sur l’association étroite et intime de l’histoire et de la technologie. Les pixels donnent vie à la pierre, enchantent cet endroit unique au monde et transportent les spectateurs dans une autre dimension visuelle et sonore. Ce site extraordinaire a récemment modernisé ses installations avec des projecteurs laser Barco. Entretien avec Augustin de Cointet de Fillain, directeur du Château des Baux-de-Provence et des Carrières de Lumières ; puis, en deuxième partie, avec Sébastien Chapuis, responsable technique des Carrières de Lumières.*
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Sonovision : Pourriez-vous nous présenter le projet et l’histoire des Carrières de Lumières ? Pourquoi avoir créé un musée dans un lieu aussi atypique ?

Augustin de Cointet de Fillain : Culturespaces s’occupe de ce projet depuis 2010, date à laquelle la mairie des Baux-de-Provence nous a confié la gestion du lieu. Les premières expositions se sont déroulées en 2012. L’idée est la projection d’œuvres d’art, la conception de spectacles à partir d’œuvres d’art projetées sur l’ensemble des murs et du sol des Carrières de Lumières. Depuis longtemps, le lieu est dévoué à l’art. Ces carrières ont été creusées entre 1850 et 1950, voire un petit peu avant, pour l’extraction de la pierre des Baux, courante dans la région. C’est une pierre très friable, que l’on peut extraire facilement, ce qui a permis de creuser ces galeries. En fait, rien n’a été bâti, des galeries ont été creusées avec des proportions qui sont respectées pour que l’édifice ne s’effondre pas.

Dans les années 1950, l’activité commerciale s’est arrêtée et le lieu s’est transformé en une sorte de friche industrielle. Et là, Jean Cocteau est arrivé – il venait souvent dans la région – avec nombre de ses amis artistes, comme Picasso. Cocteau a tourné ici Le Testament d’Orphée dont l’histoire se situe au cœur des Carrières de Lumières. Le lieu devient de plus en plus dévolu à l’image ; certains commencent à faire des expériences, ils découvrent le travail réalisé par un Tchèque du nom de Svoboda, installé à Montréal, lequel avait empilé des téléviseurs les uns sur les autres, créant ainsi un écran géant… et se sont dit qu’aux Carrières existaient des murs gigantesques…

Au début, l’idée est venue d’utiliser des machines à diapositives pour projeter des images sur les murs. On a ajouté deux machines, trois machines, dix machines… puis de la vidéoprojection… Culturespaces décide d’intensifier le concept, de faire en sorte que les images soient vraiment bord à bord, de plonger le visiteur dans les pixels ; vous en avez plus de deux cents millions autour de vous… On construit un grand spectacle autour de l’œuvre d’art pour susciter une émotion tout à fait particulière.

 

SV : Revenons sur le lieu lui-même. Quelle est sa superficie, la hauteur sous la voûte ?

A.C.F. : Le lieu à proprement parler mesure quelque 3 000 m2 au sol et rien n’est régulier ! La hauteur sous plafond est, au plus bas, à 6,50 m, ce qui n’est déjà pas si mal, et on peut monter jusqu’à 16-17 m à certains endroits. Au total, cela nous fait, entre le sol et les murs, une surface de projection supérieure à 7 000 m2, qu’on tapisse totalement puisque nous disposons d’un réseau de 100 vidéoprojecteurs, dont 70 modèles PGWU-62L Barco et 30 modèles Optoma ZW316, qui permet de recouvrir l’ensemble des murs, et une autre marque pour le sol.

 

SV : Aujourd’hui, le public est de plus en plus porté vers l’immersion, l’interactivité. Quel futur imaginez-vous ici en termes de relation entre visiteurs et installations ?

A.C.F. : Effectivement, le public en veut toujours plus. Tout le jeu pour nous consiste à conserver un savant équilibre entre garder l’âme d’un spectacle et donner davantage au spectateur à qui on prête une attention particulière. Il nous faut tempérer entre la volonté d’aller toujours plus en avant technologiquement et celle de rester sur un spectacle vrai. Le danger du virtuel et de l’interactivité tout le temps, c’est que l’on risque de tomber vite dans quelque chose de kitch, d’un peu artificiel. Nous faisons vraiment attention à ça !

Pour l’instant, qu’il s’agisse des différents serveurs, des projecteurs de Barco ou autres, nos renforts technologiques nous ont permis d’augmenter en qualité, en profondeur d’image, en résolution, d’avoir une expérience vraiment très forte. Actuellement, nous ne privilégions pas l’interactivité, mais ne l’abandonnons pas non plus. Simplement, nous considérons que le spectateur est baigné dans un univers composé de peintures, de la réinterprétation de ces peintures par un artiste actuel. C’est un triptyque entre l’artiste sur lequel on travaille, les Carrières de Lumières et le réalisateur. Ce jeu à trois est déjà très fort, chargé en émotion.

 

SV : Avant d’entrer dans les détails techniques, parlez-nous de la programmation artistique. Quelle est la durée, la pérennité, de chaque programme audiovisuel ?

A.C.F. : La programmation artistique est conçue par Culturespaces, qui a une vraie habitude de gestion des musées, des monuments, avec un service spécifique qui monte nombre d’expositions temporaires. Nous organisons plus de six expositions par an dans des musées parisiens ou d’Aix-en-Provence, nous bénéficions d’une vraie expérience en la matière. Ici, aux Carrières de Lumières, nous avons choisi de monter des expositions de dix mois. Nous avons besoin des deux mois restants dans l’année pour de la maintenance (entretien, calage). Nous sommes ouverts tous les jours les dix mois d’exposition de l’année, de début mars à début janvier.

Le contenu des spectacles est d’abord une question d’envie de travailler sur des artistes donnés, de les voir ici projetés. Entrent en ligne de compte aussi des questions techniques : que les ayants droit veuillent travailler avec nous, la multiplicité d’images puisqu’un grand nombre d’images est nécessaire, des problèmes de rendu… Le choix du spectacle se joue dans un équilibre entre tous ces aspects.

 

SV : Un lieu tel que les Carrières de Lumières où le spectateur est immergé, engendre des pré-requis en termes d’équipement technique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le dispositif technique original mis en place ?

A.C.F. : Le lieu est très grand, notre dispositif technique est donc très dense. Il est contraignant, puisque nous nous trouvons dans un milieu naturel qui bouge, nous sommes dans la pierre, et celle-ci travaille… Notre premier dispositif technique est indépendant de l’audiovisuel, il réside dans la vérification de la structure, histoire de ne pas avoir une pierre qui tombe sur un visiteur… Nous restons très vigilants et il n’y a jamais eu de problème.

Concernant le dispositif technique audiovisuel, nous avons un certain nombre de contraintes dues au lieu. Les hauteurs de plafond ne sont pas les mêmes partout, les distances auxquelles on peut accrocher les vidéoprojecteurs diffèrent aussi. Nous faisons face à des questions d’humidité, d’hygrométrie. Le cocktail est difficile… S’ajoutent des questions de précision, c’est-à-dire que si j’étais dans une salle rectangulaire avec un point lumière au-dessus, je règlerais tous les vidéoprojecteurs à la même distance, je caricature un peu… Ce serait assez facile, je partagerais l’espace de projection en surfaces « pixelaires »…

Ici, je dois placer les vidéoprojecteurs à l’endroit où le lieu le permet ! Parfois on se rend compte qu’avec l’optique choisie, eh bien l’angle est trop grand ou trop court. Ou bien il y a l’ombre portée du vidéoprojecteur d’à côté. Si on veut éclairer une surface, il se peut que le centre de projection soit sur un angle, donc on va avoir deux fuyantes, et au résultat l’image n’est pas nette. Je place alors un deuxième projecteur, mais celui-ci va créer une ombre portée sur un quatrième ou troisième vidéoprojecteur. Toute l’implantation est compliquée, des outils d’implantation nous aident, mais on se rend vite compte que l’expérience humaine est primordiale, que tout cela est calculé précisément pour avoir la même densité lumineuse, la même taille de pixels partout. Il y a beaucoup de calages à la main sur toutes ces machines-là.

Au final, pour couvrir l’ensemble des espaces avec la résolution voulue, nous disposons aujourd’hui de 70 vidéoprojecteurs Barco à technologie laser et 30 autres projecteurs Optoma ZW316 qui nous permettent de couvrir l’ensemble de la surface : murs, sol et quelques endroits du plafond. Tout cela est relié avec de la fibre optique pour obtenir la vitesse d’image nécessaire avec des spectacles qui deviennent de plus en plus lourds, la technologie nous aidant à faire plus d’effets, etc. La densité de projecteurs est vraiment là pour parvenir à une qualité optimale.

 

SV : Pourquoi avoir choisi Barco ? Aviez-vous déjà travaillé avec eux ?

A.C.F. : Jusqu’à présent, nous travaillions avec des vidéoprojecteurs, principalement à lampes, dotés d’une résolution un peu plus faible qu’aujourd’hui et surtout d’une luminosité plus basse. Ces machines, qui nous ont donné un certain temps satisfaction, n’étaient plus au niveau de nos exigences actuelles. Le public se montrant plus exigeant d’un point de vue qualitatif, nous nous devions de monter en gamme pour lui donner satisfaction.

Le problème des vidéoprojecteurs à lampes que nous détenions jusqu’ici est que lesdites lampes baissent en luminosité au fur et à mesure de la saison et que toutes ne baissent pas à la même vitesse… Ce qui explique que nous rencontrions des problèmes d’étalonnage, avec des endroits plus ou moins denses. Ceci nous a poussés à aller vers la technologie laser que nous avions testée il y a trois ans, mais qui ne nous avait pas donné vraiment satisfaction. Nous étions en effet obligés de positionner les vidéoprojecteurs à des emplacements un peu particuliers ; nous ne sommes pas à la verticale ou à l’horizontale, mais totalement en oblique sur certains endroits des carrières…

La technologie laser testée la première fois n’était pas assez aboutie. Il se trouve que, depuis, un vrai progrès a été accompli ! Le laser a progressé en colorimétrie, ce qui est très important pour nous ; il affiche une meilleure luminosité, une résolution meilleure… Toutes ces avancées ont fait que nous avons cherché à nous développer en laser.

Nous avons répertorié les différents fabricants qui s’offraient à nous. L’offre de Barco était très satisfaisante. Nous avons besoin de produits de très bonne qualité, faciles d’utilisation, fiables. On aurait pu installer des machines plus perfectionnées que celles qui y sont aujourd’hui, mais il existe une question d’équilibre, de rentabilité, d’utilisation des machines. Nous avons trouvé en Barco un partenaire qui a su répondre à nos impératifs de rentabilité commerciale, de qualité du matériel, de simplicité de mise en œuvre, un partenariat qui porte pour le moment tout à fait ses fruits.

 

SV : Une question sur l’intégrateur… Êtes-vous passé par une structure ? Comment s’est déroulé l’historique avant l’installation proprement dite ?

A.C.F. : En 2010, quand nous avons entamé les travaux pour la réouverture des carrières, nous nous sommes demandé qui nous aiderait à monter ce type de spectacle. Nous avions une certaine expérience, des spectacles audiovisuels s’étaient déjà déroulés ici, les techniciens en avaient l’habitude et le réalisateur comptait déjà un certain nombre de travaux à son actif. La question de savoir avec qui nous allions travailler s’est posée, à la fois pour intégrer l’ensemble du dispositif et décider quel type de logiciel allait nous aider. Les concurrents de l’époque s’appelaient Only You, Watchout…

Nous avons choisi de travailler avec Watchout que nous avons développé ici dans un premier temps avec Vidémus. Aujourd’hui, nous sommes à la fin de ce cycle qui nous a permis de développer ledit système. Notre matériel commence à être âgé, il est temps de le renouveler. Nous ouvrons à Paris un deuxième site similaire aux Carrières de Lumières, avec le même genre de technologie et le même type de process. Pour Paris, nous allons travailler avec le logiciel Modulo Kinetic de Modulo Pi qui nous a paru plus stable, plus précis et performant dans un certain nombre de domaines. Nous allons au gré des avancées technologiques des uns et des autres…

Ce qui nous intéresse avant tout est la fiabilité. En exploitant le site plus de trois cents jours par an, nous ne pouvons pas nous permettre une panne. Tous les murs sont warpés, softés, pour que l’image colle exactement à chaque bord. Plus le logiciel sera performant… Je ne parle pas d’une « usine à gaz » ! Nous avons fait appel à des sociétés très compétentes, mais nous évoluons dans nos choix pour avoir toujours le meilleur de la qualité souhaitée.

 

SV : Une fois les projecteurs installés, combien de temps prend le déploiement de l’exposition ?

A.C.F. : Il faut compter à peu près un an, le temps de réfléchir sur le sujet, d’écrire le synopsis, d’aller chercher les images, négocier les droits, choisir les musiques, etc. Après ce travail, arrive le calage sur place. Le spectacle a beau être fait, pensé, réfléchi avant, les vidéos, les images apportées, il n’y a que sur place que l’on peut scénographier un espace. Cette opération demande un mois. En fait, on ferme deux mois. Le premier mois est dédié à la maintenance, on enlève des projecteurs on en installe des nouveaux, on nettoie, etc. Le deuxième mois, on travaille sur le spectacle, les réglages fins, le calage, le warping, etc. Toutes ces activités en vérité se chevauchent, bien sûr.

 

SV : Comment jugez-vous votre collaboration avec Barco ? Recommanderiez-vous Barco pour ce type de projet ou d’autres en muséographie ?

A.C.F. : La collaboration avec Barco s’est très bien déroulée. Ses équipes, notamment commerciales, ont été très actives, elles ont répondu à nos besoins, se sont tout de suite intéressées à notre projet dans un partenariat gagnant-gagnant très fructueux. Quand nous avions besoin de quelque chose, elles nous ont répondu. Pour l’instant, je n’ai pas le retour de la suite de l’exploitation. Je serai très vigilant sur le service après-vente, la maintenance, les questions d’audit, je regarderai comment vieillissent les machines ici en raison de l’hygrométrie et de la poussière. Je ne peux pas vous donner une réponse précise quant aux qualités de Barco sur ces points, mais je n’en doute pas. J’attends vraiment de notre partenaire un échange qui ne soit pas simplement la mise en place, mais la capacité à développer le projet dans son ensemble et sur un long terme.

 

SV : Vous évoquiez un projet sur Paris… Utilisera-t-il la même technologie ?

A.C.F. : Oui. Notre projet de Paris, qui est un peu le petit frère des Carrières de Lumières, ne prendra pas place dans une carrière de pierre, mais dans une ancienne fonderie, une ancienne usine qui se trouve en plein milieu du XIe arrondissement. Nous allons utiliser le même genre de technologie, de spectacle. Les spectacles diffusés seront toutefois différents, puisque chaque spectacle est prévu pour un lieu scénographique précis, mais comporteront les mêmes images et le même contenu. Le lieu ouvrira en avril 2018.

 

SV : Sur votre spectacle actuel aux Carrières de Lumières, avez-vous déjà un premier retour des visiteurs ? Quel est leur feeling ?

A.C.F. : L’exposition est ouverte depuis une semaine, nous en sommes donc aux tout premiers moments des retours de visiteurs, lesquels sont très bons. Nous sommes très contents ! Les spectateurs notent clairement la différence dans la profondeur d’image dont je parlais, surtout que cette année avec Bosch, Brueghel, Arcimboldo et toute la peinture flamande des XVIe et XVIIe, nous avons tout de même beaucoup de détails ! C’est vrai que la qualité et la profondeur d’image ont été vraiment relevées. Le spectacle remporte un grand succès, nous en sommes ravis, les artistes n’étaient pourtant pas spontanément accessibles au grand public, tout le monde ne les connaissait pas… avec quelques images, notamment dans Bosch, qui sont quand même dures, particulières, très fantasmagoriques.

Nous avions un petit trac avant l’ouverture, nous nous demandions si ce monde allait vraiment plaire aux gens, les brusquer ou au contraire les séduire. En fait, on est dans ce troisième cas, les connaisseurs apprécient de voir des personnages qui, normalement, mesurent trois centimètres sur une toile et qui, là, font six mètres de haut, soit plus de 200 fois leur taille originale ! Nous avons vraiment un bon retour. Le final du spectacle pour lequel nous avons changé un peu les codes, notamment musicaux en prenant de la musique contemporaine – des peintures de Bosch associées à du Led Zeppelin ! –, a un gros succès. Le spectacle est total, les gens le savent. Ce n’est pas simplement une exposition, un diaporama, mais vraiment une « expérience », bien que je n’aime pas toujours ce terme, quelque chose de total et cela fonctionne très bien.

 

SV : Pouvez-vous lever le voile sur l’horizon 2018 ? Avez-vous en tête un nouveau spectacle ?

A.C.F. : Oui, cela vous fera un scoop ! L’année prochaine, nous mettrons en place un spectacle sur Picasso. Nous avons beaucoup réfléchi. 2018 sera une grande année « Picasso et l’art méditerranéen », entre Barcelone et l’Italie. Nous nous sommes posé la question de nous intégrer ou non dans ces festivités. Je pense qu’il faut profiter du dynamisme des uns et des autres, c’est pourquoi nous nous y associons. Nous ferons un spectacle sur Picasso, peut-être plus sur la peinture moderne espagnole. Ce sera donc Picasso !

 

* Extrait de notre article paru pour la première fois dans Sonovision #7, p. 48-51. Abonnez-vous au magazine Sonovision (1 an • 4 numéros + 1 hors-série) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.

La suite de cet article sera publiée le mois prochain…