Les pratiques muséales vivent une mutation sans précédent avec l’arrivée du numérique qui transforme la médiation. L’offre d’outils numériques d’aide à la visite et l’expérience de visite – avant, pendant et après – se trouvent aujourd’hui au cœur des préoccupations des musées et des villes. Aux maîtres d’ouvrages, qui parfois bénéficient d’une AMO audiovisuelle et multimédia (assistance à maîtrise d’ouvrage), d’identifier les réels besoins du site, qui n’est plus limité à un espace physique, et de choisir en fonction les outils numériques parmi une offre de plus en plus étendue de dispositifs immersifs et interactifs. Ceci afin de renouveler en profondeur l’expérience de visite pour un visiteur de plus en plus actif.
L’offre immersive des musées
L’audiovisuel fait depuis longtemps partie des outils de médiation des musées. Certains d’entre eux, comme le MuCEM à Marseille, le portent même au cœur de leurs collections comme patrimoine immatériel.
L’offre d’une expérience de médiation véritablement immersive à base de multi-écrans (ou de projections 360°) n’est toutefois apparue que progressivement de manière pérenne. En France, plusieurs parcours scénographiques avec immersion audiovisuelle font date.
L’Historial Charles de Gaulle à Paris, qui fêtera bientôt ses dix ans, introduit magistralement l’épopée gaullienne au moyen d’un multi-écran signé Olivier L. Brunet.
L’Historial Jeanne d’Arc à Rouen base tout son parcours de visite sur une scénographie audiovisuelle constituée par un « film » d’une durée de 50 minutes, lequel se découvre en vidéomapping, projection sur tulle, écrans courbes ou verre, via des écrans synchronisés…
La Cité du Vin à Bordeaux et le Centre international de l’Art pariétal Lascaux 4 jouent, quant à eux, à fond sur la diversité et l’ampleur des configurations immersives : salle immersive à 200°, théâtre filmé et multi-écrans pour la première ; vidéomappings 3D sur fac-similés à échelle un, cinéma 3D et canopée d’écrans synchrones pour le second.
Cette scénographie immersive, qui interpelle les scénographes, mais aussi les sociétés de production audiovisuelle, bénéficie de technologies de vidéoprojection, comme ces projecteurs équipés d’ultra-courtes focales (projecteurs Tri-DLP Panasonic à optique détachable, projecteurs Led laser Sony avec edge blending intégré…), qui apportent beaucoup plus de flexibilité dans sa mise en place.
Participent aussi au déploiement de ces projections aux calages parfois délicats, des logiciels de vidéomapping et média serveurs de plus en plus performants : Dataton Watchout V6 avec serveurs Pro multi-flux ou Watchpax 4, Modulo Player, Ultra DVP 4K mono flux de RSF (non encore commercialisé)…
Reste, comme le rappelle Claire Davanture, assistante à la maîtrise d’ouvrage audiovisuelle et multimédia sur La Cité du Vin, qu’une scénographie audiovisuelle ne peut faire l’économie d’un programme muséographique en amont et que l’image ne doit pas être uniquement au service du spectaculaire, mais raconter une histoire.
Interactifs, l’embarras du choix
La plupart des musées enrichissent leurs offres pédagogiques en incluant, dans leurs expériences de visite, des dispositifs multimédia et interactifs : surfaces tactiles, bornes, tables « tangibles » grand format, dispositifs recourant à des interfaces de type Kinect… Reste à connecter – et déclencher dans la langue du visiteur – tous ces interactifs afin que la visite devienne mobile et « mémorable ».
Cette interface utilisateur ou guide numérique, gérée par le même show control assurant l’automatisation de ces équipements, se sophistique de plus en plus. Outre le déclenchement des modules audiovisuels (par infrarouge ou radiofréquence), elle inclut la synchronisation labiale et la géolocalisation du visiteur (par balises ibeacons, wifi, UWB…) qui peut ainsi recevoir en temps réel de nouvelles informations et informer par là même l’exploitant de son parcours.
Développé par Tonwelt, le Cdv (compagnon de voyage) de la Cité du Vin à Bordeaux, richement dotée en dispositifs interactifs, est l’un des plus aboutis avec 250 points d’écoute. De même, le guide numérique de Lascaux (mis au point par Orpheo) agrège nombre de fonctions inédites de médiation, dont une « Torche ».
Tous les établissements ne nécessitent pas de tels équipements. L’expérience de visite peut faire aussi l’objet d’une application à télécharger sur le smartphone ou la tablette du visiteur. Disponibles sur les stores en ligne, ces applications comportent aussi la géolocalisation et la reconnaissance d’images.
C’est cette option que le Louvre, qui possède peu d’interactifs, a choisie en remplacement de ses audioguides sur Nintendo. Grâce à l’application native Louvre, ma visite (par SmartApps), qui a nécessité la mise en place de 2 000 balises BLE, le visiteur peut retrouver son chemin, localiser les œuvres et avoir accès à du contenu audio (etc.).
Pour faciliter la publication de telles applications, des plates-formes web paramétrables (image, texte, son et vidéo) et administrables sont à la disposition des musées. Là encore, l’offre est abondante : SmartPublisher de SmartApps, Wezit de Mazedia…
Comme alternatives au téléchargement, les webapps (aux fonctionnalités plus limitées) sont utilisées. Initiée par Twelve Solutions, la solution WiVi (pour Wireless Visit), qui peut être étendue aux territoires (WiPath), comprend pour sa part le logiciel, un scénario de visite sur mesure et l’installation d’un WiFi privé sous forme de bornes.
En prime, la réalité virtuelle ou augmentée
Les sites touristiques sont de plus en plus nombreux aujourd’hui à proposer une découverte de leur patrimoine au moyen d’une application mobile qui superpose sur la vue existante des éléments informatifs, voire des reconstitutions 3D. La ville de Bordeaux a été l’une des premières à faire découvrir son patrimoine du XVIIIe siècle à l’aide du dispositif Imayana conçu par Axyz.
Toujours en réalité augmentée, se découvrent sur iPad Perpignan, Poitiers et Avignon (Art Graphique et Patrimoine). Dès l’été 2017, Paris se parcourra avec une application 360° conçue par 44 Screens, laquelle pointera vers les sites napoléoniens. Cinq ans auparavant, la société (avec Biplan) s’était fait remarquer en donnant à voir, en réalité augmentée et géolocalisée, les plages du débarquement à Arromanches.
Parfois, ces parcours de visite s’accompagnent de sons et lumières, voire de vidéomappings. Comme celui de la Citadelle de Verdun qui a fait l’objet d’une découverte inédite en nacelle (Maskarade et Moving Stars).
La réalité virtuelle (avec ou sans casque), qui autorise une immersion dans les lieux, s’invite dans cette offre de visite ou de médiation. En attente de sa réouverture, la maison Pierre Loti à Rochefort affecte ainsi une salle de projection. Équipés de lunettes 3D, les visiteurs pilotés par un guide muni d’une tablette peuvent se promener dans les différentes pièces (MG Design).
Lascaux 4 dédie un espace protégé à cette visite virtuelle, qui se fait ici avec un casque Oculus Rift, tandis que son CDV inclut, à des endroits clés, des expériences en réalité augmentée : remontée dans le temps, manipulation d’objets virtuels.
Certains parcours de visites « mixtes » commencent à s’affranchir de ces limitations. Ainsi le parcours à l’abbaye de Maillezais, conçu par Mazedia, a fait le choix d’intégrer, dans son parcours mobile extérieur sur tablette, une vision virtuelle (avec un cardboard) élaborée par MG Design.
Malgré cette offre qui s’étoffe de plus en plus, aucune étude approfondie sur les modalités d’usage de la réalité augmentée n’a été conduite. Lancés par Mazedia en septembre 2016 sous forme de think tank, les ateliers Wezitcamp croisent les expériences menées en France et à l’étranger, et livrent leurs conclusions en open source sur un site collaboratif : « De la manière dont le visiteur s’approprie ces techniques, nous pouvons mieux adapter notre offre aux besoins des sites ou musées et optimiser ces scénographies digitales », remarque Vincent Roirand (Mazedia).
L’étude montre aussi que la réalité augmentée ne constitue pas le cœur de l’expérience de visite, mais est considérée comme un « appendice » par le musée qui l’utilise lorsqu’il veut contextualiser un propos. Si les solutions de calage multiplates-formes pour la réalité augmentée deviennent de plus en plus fiables, la réalité virtuelle (sur casque) ne rejoindra les autres outils de médiation du musée que lorsque les équipements seront familiers aux visiteurs, ce qui présuppose qu’ils se soient stabilisés.
Pour l’instant, les casques en réalité virtuelle sont utilisés au mieux de leurs spécificités : l’Oculus Rift pour visualiser des maquettes 3D complexes, le casque HTC Vive pour les déplacements avec interactions, le cardboard de Google pour sa simplicité de mise en œuvre. Très attendus, des casques réglables comme les lunettes Epson Morevio 350 permettront enfin au jeune public de partager ces parcours en réalité virtuelle jusqu’ici interdits aux moins de 12 ans.
Des prestataires contournent ces limitations en revenant à… la borne qui offre l’avantage de s’adresser à tous les publics. S’inspirant du dispositif mis en place dès 2009 par On Situ à l’abbaye de Cluny, les bornes orientables en réalité virtuelle récemment installées par Timescope sur la place de la Bastille et dans la zone transit de l’aéroport Charles-de-Gaulle offrent des reconstitutions 3D et à 360 ° (payantes) du quartier à différentes époques ou un survol de Paris.
C’est encore une borne orientable qui fait découvrir, au Chronographe à Rezé, une reconstitution en 3D du port à l’époque gallo-romaine. Développé par MG Design et 100 Millions de Pixels, le dispositif de réalité augmentée comporte des caméras situées autour du belvédère. Et surtout un écran 42 pouces qui permet enfin à l’expérience de visite d’acquérir une dimension plus collective.
* Extrait de notre article paru pour la première fois dans Sonovision #8, p. 30-33. Abonnez-vous au magazine Sonovision (1 an • 4 numéros + 1 hors-série) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.