La télévision locale Chartres.Live a été lancée en octobre 2016 par CM’IN, un opérateur local de télécommunications disposant d’une licence de l’ARCEP. Impulsé par la communauté d’agglomérations Chartres Métropole, et fonctionnant sous le statut d’une société d’économie mixte, CM’IN (Chartres Métropole Innovations Numériques) a pour vocation de faciliter l’accès au très haut débit pour les entreprises locales. Il déploie dans ce but un réseau de fibres optiques sur toute l’agglomération, ainsi qu’un maillage en Boucle Locale Radio pour offrir un accès Internet aux habitants de l’Eure-et-Loir, mal desservis.
CM’IN a aussi pour objectif de mettre en place des services numériques innovants dans une perspective de « smart cities ». C’est dans ce cadre qu’Alain Guillotin, directeur de CM’IN, a lancé Chartres.Live avec trois idées-forces : favoriser les retransmissions en direct d’événements culturels et sportifs locaux, s’appuyer au maximum sur le réseau de CM’IN, et éviter la contrainte de la production quotidienne de deux heures de programmes « frais » imposée par le CSA. Ces choix l’ont conduit à limiter la diffusion au web, avec des coûts réduits car les serveurs nécessaires sont exploités directement dans le data center de CM’IN.
Pour assurer le transport des images et des sons lors des retransmissions en direct, tous les stades, salles de spectacles, les espaces publics et même prochainement la cathédrale, ont été équipés de terminaisons optiques et de routeur facilitant le raccordement des équipements de prise de vues. Pour éviter le déplacement d’une régie vidéo sur place, la réalisation des programmes s’appuie sur le concept de « remote production ». Ainsi on peut affirmer que la chaîne locale Chartres.Live fonctionne en tout IP, depuis la prise de vues jusqu’à la diffusion.
Une chaîne de production en tout IP
La grille des programmes « live » comprend de nombreuses retransmissions sportives, de deux à quatre évènements chaque semaine, privilégiant les sports absents ou peu diffusés sur les chaînes nationales comme le basket féminin, le hand-ball, le base-ball ou le rugby hors niveau professionnel. Toutes les retransmissions sont ensuite accessibles en « replay » depuis le site web de Chartres.Live.
Concrètement, lors d’un match, un technicien de CM’IN arrive une heure et trente minutes avant le coup d’envoi et installe quatre caméscopes (des modèles JVC GY-HM660) équipés d’une interface réseau et d’un encodeur de streaming. Il les dispose le long du terrain selon un schéma classique, deux caméras côte-à-côte dans l’axe médian du terrain et deux autres aux extrémités pour cadrer les buts ou la zone de tir. Un simple câble réseau à raccorder sur une embase RJ-45 et les images partent directement à la régie de production, installée dans les locaux de CM’IN. Elles sont transmises dans une résolution 720p (bientôt en 1080p), compressées en H.264 avec un débit de 8 Mb/s.
Dans la halle Jean Cochet, où se déroulent la majorité des rencontres sportives, les deux caméras placées aux extrémités seront bientôt remplacées par des caméras PTZ à dôme, dont les cadrages seront contrôlés par l’équipe de réalisation depuis la régie, via le réseau Ethernet. Une caméra identique est déjà installée au plafond pour des cadrages généraux en hauteur.
Pour commenter les matchs, deux intervenants s’installent au bord du terrain, un commentateur employé par CM’IN et un consultant envoyé par la fédération ou l’une des équipes du match. Ils s’assoient devant un poste de commentateur Glensound à deux positions, plus une entrée « invité ».
Un micro-ordinateur sert à suivre les statistiques du match et un second sert d’écran de retour pour le final antenne. Il fonctionne avec un player VLC connecté par réseau à un encodeur de streaming installé à la régie. En plus des micro-casques des deux commentateurs, un couple de microphones sert à capter l’ambiance de la salle et un micro HF est affecté aux interviews et à la saisie des confidences de l’entraîneur et des joueurs lors des arrêts de jeu.
Pour gérer et contrôler tous ces signaux audio, un mélangeur Behringer X Air XR18 est installé à proximité dans un rack mobile qui regroupe également des interfaces audio/IP de marque Deva Broadcast (deux voies montantes et une descendante) et un switch réseau. Le mélangeur Behringer est contrôlé par réseau depuis la régie située à CM’IN. L’ensemble est pré-câblé et configuré de manière à ce que l’installation sur place soit la plus simple et la plus rapide possible.
Les équipes réseaux de CM’IN ont configuré plusieurs VLAN pour acheminer les signaux vidéo et audio vers la régie, à la fois pour préserver une bande passante suffisante et éviter de mélanger les signaux AV avec d’autres données informatiques (comme la desserte WiFi des lieux publics ou les besoins en informatique de gestion). Ces VLAN ont été déployés sur la totalité du réseau FO de CM’IN de manière à ce que les équipements AV soient en communication avec la régie de production, dès leur raccordement quel que soit le lieu où se déroule la captation.
Pour effectuer des prises de vues mobiles, les techniciens de CM’IN ont conçu un système sans fil avec un sac dos contenant une borne WiFi et une batterie. Le cadreur y raccorde la sortie réseau de son caméscope. Comme l’ensemble des places et des espaces publics de la ville sont desservis par un réseau WiFi, géré par CM’IN, il peut se déplacer en ville et transmettre ses images directement vers la régie et l’antenne.
La régie vidéo dans les locaux de Chartres.Live
La régie de production installée dans les locaux de CM’IN fonctionne donc en « remote production ». Un mélangeur Streamstar Case 710 raccordé au réseau, reçoit les images des sources distantes et sert à sélectionner l’image finale diffusée en « live » sur le web. Il est doté d’un module d’effets spéciaux classique, de fonctions de lecture de séquences enregistrées et aussi d’un système de ralenti et de replay.
Alain Guillotin justifie le choix de cette marque peu connue en France : « JVC a signé un accord avec le constructeur Streamstar et distribue leurs mélangeurs. Les caméras JVC sont directement pilotables depuis le Streamstar pour ajuster le diaph, la balance des blancs, les gains et autres réglages. D’autres marques offrent ces possibilités. Mais on risquait de faire du ping-pong entre les deux constructeurs en cas de dysfonctionnements entre le mélangeur et la caméra. Là on est face à une offre globale et c’est à JVC de trouver la solution. »
Le logiciel d’habillage graphique Scoreplus de Streamstar sert à préparer les scores et le chronomètre, incrustés sur l’image finale. Pour l’instant, les informations sont ressaisies manuellement par un assistant-réalisateur depuis une image filmant le tableau d’affichage du stade.
Alain Guillotin rêve d’une solution automatique, mais les liaisons numériques entre les systèmes électroniques d’arbitrage et des panneaux d’affichage des stades sont très variables et exigeraient la fabrication d’une multitude d’interfaces de liaison via le réseau. Alors pourquoi pas en régie un module d’analyse et de détection des images d’une caméra orientée vers les panneaux d’affichage et fournissant les données au module d’habillage de manière automatique ?
Le Streamstar possède son propre module de streaming et c’est cette sortie qui est renvoyée vers le serveur de diffusion. Une sortie indépendante du Streamstar est raccordée sur un encodeur séparé pour le retour écran des commentateurs, toujours via le réseau CM’IN. Un serveur audio MurMur récupère les ordres du réalisateur pour les renvoyer en IP vers le lieu de captation. Ce signal est diffusé en WiFi et les cadreurs le récupèrent sur leur smartphone.
La transmission des signaux en IP, même sur des infrastructures privatives, conduit à des temps de traitement non négligeables, la fameuse latence, à cause des algorithmes de compression, et donc à des décalages entre images et son. Avant le démarrage du direct, cela oblige les équipes techniques à des procédures pour compenser ces délais et retrouver un parfait synchronisme.
Malgré tout, sur une liaison aller/retour, ces retards ne peuvent pas être totalement compensés et, pour la gestion des ordres et le retour écran des commentateurs, cela occasionne parfois une gêne dont les équipes de réalisation doivent tenir compte. Une solution consisterait à utiliser des algorithmes de compression moins sujets à la latence comme ceux basés sur les ondelettes, mais au prix d’une augmentation importante du débit que la desserte réseaux de certains lieux ne peut pas absorber.
En remote production, le débit nécessaire est multiplié par le nombre de sources à renvoyer vers la régie, additionnée des liaisons audio, des voies de retour et divers services de télécommande qui doivent rester réactifs. Les prises terminales auxquelles se raccordent les caméras et les équipements sont équipés en liaison cuivre et non en fibres jusqu’à leur extrémité !
Un serveur de diffusion dédié
Lors du lancement de la chaîne, les premiers directs ont été diffusés via le service YouTube Direct. Mais très vite il a fallu trouver une alternative car, en cas de rupture de la diffusion, son rétablissement était loin d’être facile.
Alain Guillotin ajoute : « L’autre souci avec YouTube c’est que l’on n’a aucune maîtrise sur la diffusion des spots de publicité et on risque des téléscopages hasardeux. C’est pourquoi nous avons décidé d’installer notre propre serveur de diffusion dans l’un de nos 5 POP. »
Pour ses propres clients, CM’IN dispose de deux liaisons vers des plates-formes de peering à Courbevoie et à Paris-République. La chaîne dite locale est donc diffusée sur toute la France et même dans le reste du monde. Pour certains évènements, le public est parfois plus important sur la région parisienne que sur le département de l’Eure-et-Loir.
Lorsque les équipes sportives de Chartres rencontrent des adversaires venant du reste de la France, leurs supporters peuvent suivre le match depuis leur région. Récemment, les images du match de basket féminin Chartres contre Landerneau ont même été reprises par les trois chaînes locales bretonnes TV Rennes, Tébéo et Tébésud. Pas besoin de liaisons spéciales coûteuses, il leur a suffi de reprendre le signal reçu sur le web.
Comme le serveur de diffusion est géré en interne par les équipes de CM’IN, dès la fin du direct il suffit qu’un membre de l’équipe de réalisation se tourne vers l’un des PC installés en régie pour connaître l’audience de l’émission : nombre de vues, de l’ordre de 1 500 pour un match classique, durée des consultations comprise entre 5 et 10 minutes là aussi variable selon le sport et la notoriété des équipes, et enfin localisation des téléspectateurs. Quelques clics supplémentaires et l’enregistrement du match est indexé, calé en début et fin et aussitôt mis en ligne pour une consultation en replay. Tous les services nécessaires à la gestion de la chaîne et le back office ont été développés en interne par les informaticiens de CM’IN.
L’intégration complète de la diffusion dans les infrastructures du réseau, la programmation basée uniquement sur du direct et de la VOD sans grille de programmes ni diffusion linéaire continue, sont sans aucun doute des choix très alternatifs par rapport au fonctionnement classique des chaînes de TV locales. Ils sont la conséquence de la génèse d’un projet très spécifique.
Chartres.Live est produite et réalisée par un opérateur de télécom et non par une équipe de journalistes et de production. Leur approche de spécialiste réseaux, tant sur le plan du contenu que des choix techniques de réalisation, les ont conduits à remettre à plat tous les concepts habituels. Avec la volonté aussi de limiter au maximum les coûts de production.
Les activités de CM’IN sont d’abord centrées sur l’exploitation du réseau de télécommunications qu’ils ont déployé ; la chaîne de TV locale reste une activité complémentaire permettant de valoriser ce réseau. Alain Guillotin reconnaît bien volontiers que « nous ne sommes pas des spécialistes en audiovisuel. Lors des premiers directs, nous avons commis des erreurs techniques. Mais nous avons exploré des voies originales et développé un modèle original de chaîne locale ».
Bientôt, une clé HDMI pour recevoir Chartres.Live sur la TV
Et ce n’est sans doute pas fini, car les équipes de CM’IN travaillent sur d’autres modes de réception. Pour l’instant, les programmes TV de Chartres.Live sont reçus via un navigateur web sur micro-ordinateur, smartphone ou tablette, mais rien directement sur un téléviseur. Ils pourraient être repris sur les box d’opérateurs ADSL comme de nombreuses TV locales.
Mais dans ce cas, la réglementation du CSA s’impose à la chaîne et exigerait la production de deux heures quotidiennes de programmes originaux. Or comme évoqué plus haut, les responsables de CM’IN ne veulent pas s’engager dans cette voie car cela les détournerait de leur vocation initiale d’opérateurs télécoms.
Les équipes techniques de CM’IN sont en train de concevoir une clé HDMI comme on en trouve de plus en plus dans l’univers d’Android. Celle-ci sera préprogrammée pour recevoir Chartres.Live dès son accès à Internet par le WiFi. Pour retrouver l’environnement classique de la réception TV et ne pas déboussoler les publics peu familiers avec la micro-informatique, elle sera complétée par une télécommande TV classique.
Cette clé HDMI dédiée est d’abord destinée à élargir le public de Chartres.Live et à afficher ses programmes sur un téléviseur classique. Elle pourra servir aussi, lors des vacances ou de déplacements, pour les spectateurs qui partent loin de Chartres sans leur micro-ordinateur. Il suffira de la brancher sur la prise HDMI d’un téléviseur, d’accéder au WiFi pour recevoir les programmes loin de chez soi.
Alain Guillotin imagine déjà d’autres usages à cette clé HDMI pour diffuser les programmes sur des téléviseurs en ville, dans les cafés ou autres espaces récréatifs. Il imagine également d’autres applications autour de l’affichage dynamique dans les lieux publics ou dans les magasins ou même dans les transports, la clé venant se connecter directement sur les serveurs de CM’IN et de Chartres.Live sans déployer des players sur place aux quatre coins de la ville.
Pour faciliter l’accès à Internet en haut débit, de nombreuses collectivités locales déploient des réseaux à fibre optiques pour desservir les entreprises, les établissements publics et les particuliers. Avec leurs performances élevées, ils peuvent être le support de nouveaux services de communication et en particulier les nouveaux vecteurs des chaînes de TV locale. Avec une approche renouvelée et imaginative, ils permettront sans aucun doute, comme le montre Chartres.Live, d’imaginer la version 2.0 des chaînes locales.
* Article paru pour la première fois dans Sonovision #7, p. 60-62. Abonnez-vous au magazine Sonovision (1 an • 4 numéros + 1 hors-série) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.