L’immersion au format exposition

L’exposition numérique immersive impulse une nouvelle dynamique dans l’offre culturelle. Revue des acteurs, des sites et des modes opératoires alors que plusieurs lieux ont déjà ouvert de nouveau leurs portes.
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« À l’Atelier des Lumières, nous nous attendions à accueillir 400 000 visiteurs la première année. En fait, nous en avons fait venir près de trois fois plus », s’enthousiasme encore Augustin de Cointet de Fillain, directeur de Culturespaces Digital.

Ouvert en avril 2018, le lieu parisien a remporté un tel succès, avec l’exposition immersive consacrée à Gustav Klimt et Hundertwasser (suivie de Vincent Van Gogh, la nuit étoilée), qu’il a pris de court le monde de l’art numérique. Même surprise au Japon où, la même année, le « musée » d’art digital ouvert à Tokyo par le collectif japonais TeamLab a attiré, lui aussi, plus d’un million de visiteurs.

Ces succès éclatants ne sont pas des exceptions. De nombreuses expositions immersives ayant trait à de grandes figures de l’art moderne se sont mises à prospérer un peu partout en Europe : Klimt à Florence, Monet à Barcelone… Mais l’exposition la plus plébiscitée reste celle de Van Gogh qui a fait quasiment le tour du monde avec Van Gogh alive donnée par les Australiens Grande Exhibitions (depuis 2011), Meet Vincent à Amsterdam…

Culturespaces a également présenté une adaptation de Vincent Van Gogh, la nuit étoilée aux Carrières de Lumières (Baux-de-Provence) dont il a repris la gestion en 2012 (après la Cathédrale d’images). Sans oublier Imagine Van Gogh à la Grande Halle de La Villette qui a constitué l’un des événements forts de l’été 2017. Cette exposition était signée par Annabelle Mauger et Julien Baron, des réalisateurs aguerris à la multi-projection à la Cathédrale d’images dont les scénographies monumentales ont imposé le format de 30 minutes et le principe d’une déambulation dans un espace clos. Leur dernière création immersive, Imagine Picasso (à Lyon), accrédite encore ces expériences visuelles et sonores, itinérantes ou installées dans des sites pérennes, capables de rassembler le grand public, toutes générations confondues.

 

L’Atelier des Lumières : quand les lumières se déploient

Le « secret » des lieux des Lumières investis par Culturespaces qui a ouvert, à la suite de l’Atelier des Lumières, le Bunker de Lumières en Corée du Sud (sur l’île de Jegu) et tout récemment les Bassins de Lumières à Bordeaux, résiderait, selon Augustin de Cointet de Fillain, dans la rencontre entre un site à forte identité (ancienne fonderie, bunker, base sous-marine), un artiste majeur – souvent accompagné d’artistes émergents – et une scénographie audiovisuelle « massivement immersive ». Celle-ci repose sur un dispositif de vidéoprojection ultra performant et très polyvalent.

Adapté aux enjeux parisiens par la société Cadmos à partir de celui des Baux-de-Provence, celui-ci se prête aussi bien aux grandes célébrations occupant tout l’espace (plus de 3 000 mètres carrés, murs et sols) comme celles orchestrées par Gianfranco Iannuzzi (avec Renato Gatto et Massimiliano Siccardi) sur Gustav Klimt ou Van Gogh qu’aux expérimentations signées par des collectifs de créatifs comme Ouchhh, Cutback ou Melt, sans oublier les soirées événementielles qui ponctuent régulièrement la programmation.

Au centre du dispositif de projection, le serveur média Modulo Kinetic, dont 35 unités ont été installées à l’Atelier des Lumières, est utilisé à chaque phase du projet : en simulation 3D et gestion de show, lors des essais et des calages en salle, comme show controller et en exploitation. Pour couvrir tout l’espace de projection (soit une surface totale de 300 millions de pixels), 140 vidéoprojecteurs Barco PGWU-62L de 6 500 lumens ont été nécessaires. Leur implantation, qui suit les travées du bâtiment pour se faire plus discrète, a été définie en réalité virtuelle (toujours à partir du media server).

« Avant même d’arriver sur le site, nous connaissions donc la surface totale de projection, la taille des pixels, le rendu de luminosité sur chacune des zones… Nous étions donc déjà assurés de l’efficacité lumineuse de toute la projection », résume Roman Hatala, directeur de Cadmos. Pour parfaire la sensation d’immersion, plus de soixante enceintes Nexo (et dix-huit caissons de basses), disposant de leur propre réglage acoustique, ont été réparties dans l’espace.

 

Aux Bassins de Lumières (Bordeaux), qui ont ouvert leurs portes le 10 Juin, le même dispositif de projection est dupliqué et fait étroitement dialoguer cette architecture atypique avec le contenu images. Le lieu choisi, l’ancienne base sous-marine, surprend en effet entre autres par sa dimension monumentale (cinq fois plus grand qu’à Paris) et la présence de quatre immenses bassins en eau de 110 mètres de long (sur les onze que comprend la base) que le visiteur peut longer ou franchir via des passerelles.

Cette configuration particulière permet de compartimenter l’espace scénique (une scénographie par bassin) et de jouer avec les points de vue et les reflets sur l’eau qu’accentue encore la mise en lumière et en image. Le dispositif de projection, qui s’appuie toujours sur des serveurs Modulo Kinetic et des projecteurs Barco placés dans des caissons étanches et climatisés, a dû s’adapter au lieu (présence d’humidité, salinité). Si la surface à traiter se montre, ici, plus importante qu’à Paris ainsi que les distances de projection (le visiteur s’approchant moins des images), le nombre des vidéoprojecteurs, plus puissants, s’avère plus réduit (90 projecteurs).

Quatre expositions numériques immersives devraient être programmées chaque année par Culturespaces, dont l’investissement total se monte à 10 millions d’euros, et seront consacrées à des artistes classiques, mais aussi à la création numérique contemporaine : les Bassins de Lumière lui réservant un espace de 200 mètres carrés, le Cube. Confiée à Gianfranco Iannuzzi, Renato Gatto et Massimiliano Siccardi (avec la collaboration musicale Luca Longobardi), l’ouverture constituera une adaptation de l’exposition Klimt, d’or et de couleurs, tandis que le programme court sera une création originale de Cutback sur le peintre Paul Klee, Paul Klee, peindre la musique.

 

Imagine Picasso, un mapping oblique pour un peintre cubiste

Pour Imagine Van Gogh conçue par Annabelle Mauger et Julien Baron, plus de 200 toiles du peintre avaient été projetées dans la Grande Halle de La Villette. Recouvrant les sols et les murs, la peinture du maître néerlandais déployée à une échelle monumentale livrait ses touches de peinture agrandies et débordait de ses cadres en étant projetée sur d’immenses voiles occultantes de douze mètres de haut dont le léger mouvement induisait de subtiles variations dans les couleurs. Le spectacle, qui reposait sur une trentaine de vidéoprojecteurs HD associés à des serveurs multimédia Watchout, se montrait d’autant plus immersif qu’il comportait des enchaînements dynamiques d’images et s’accompagnait de morceaux musicaux choisis (Mozart, Bach ou Satie).

Mais si l’immersion – cette sensation bien réelle d’enveloppement par les images et le son – demeure le maître-mot du projet Imagine, donner à lire autrement un monstre sacré de l’art constitue pour les réalisateurs un défi tout aussi excitant à relever : « Nous essayons d’apporter un point de vue personnalisé sur un artiste en proposant des scénographies à chaque fois différentes et qui correspondent parfaitement au contenu », observe Julien Baron.

Les concepteurs réalisateurs ont également appris à composer leurs expositions immersives sans lieu attitré. Avant d’être exposée à Paris, Imagine Van Gogh a en effet été donnée en spectacle en 2008 à la Cathédrale d’images puis à l’Art Science Museum à Singapour en 2011 avant d’être présentée au Carré des Docks au Havre : « Nos expositions sont, par nature, itinérantes et créées sur mesure. Nous devons, à chaque fois, composer avec l’architecture du lieu et adapter la scénographie en fonction. »

 

Leur dernière création Imagine Picasso (Encore Productions), qui a occupé depuis la mi-octobre 2019 l’espace de la Sucrière à Lyon (jusqu’au 19 janvier 2020), une ancienne usine de sucre réhabilitée, multipliait les contraintes : à peine quatre mètres de hauteur sous plafond, une surface de projection inférieure à 1 200 mètres carrés (pour la zone immersive) sans compter la présence de nombreux poteaux métalliques.

Pour régler cette contraignante mise en espace, l’équipe, qui s’est adjoint les services de l’historienne Androula Michael, a fait appel à l’architecte du MuCEM (Marseille), Rudy Ricciotti. Pour introduire les 220 tableaux de Picasso (des dessins d’enfant jusqu’à Guernica), celui-ci a opté pour un assemblage de supports obliques (de simples facettes à des structures de 18 mètres de long), lesquels augmentent la surface de projection tout en cassant la lecture traditionnellement frontale de la peinture. Cette composition spatiale s’est élaborée simultanément avec l’écriture du scénario découpé en plans et séquences comme pour un film.

Là encore, les moyens techniques mis en œuvre sont à la mesure des ambitions artistiques du projet. Mis en place par l’intégrateur audiovisuel Alabama, 70 vidéoprojecteurs laser 4K Christie (DWU630-GS) aux optiques interchangeables (EAVS Groupe) sont déployés afin de couvrir de manière uniforme tout l’espace de projection. Douze serveurs média Watchout FlexiT (dotés de six sorties HDBaseT 4U) répartissent le flux vidéo, à savoir 18 séquences (pour un total de 32 minutes), sur la dizaine de modules agencés dans l’espace. Grâce à la technologie HDBaseT directement intégrée par Videmus à son serveur FlexiT, le nombre de câbles à installer a été réduit de manière notable : un seul câble RJ45 relie le vidéoprojecteur Christie au serveur (parfois sur une longueur de 150 mètres). Les possibilités qu’une panne d’origine inconnue survienne sur cette installation équipée d’un système d’automatisation Zendeo intégré à Watchout (pour l’allumage et l’arrêt automatique à distance ou depuis la régie) se montrent ainsi très réduites.

 

« Comme nos projets sont itinérants, nous ne connaissons pas d’avance la configuration des lieux d’exposition », rappelle Julien Baron. « Le dispositif de projection doit donc se montrer très fiable. Nous apprécions beaucoup le serveur Watchout pour sa simplicité d’édition en temps réel : nous pouvons facilement adapter le contenu aux volumes mappés, régler la vitesse des séquences, etc. Le serveur HDBaseT nous évite aussi d’avoir toute une panoplie de convertisseurs. De même, le système audio FreeSpace de chez Bose se montre très flexible dans sa mise en place en permettant de chaîner les enceintes les unes aux autres (22 enceintes Bose sur Imagine Picasso). »

Itinérance oblige, le matériel de projection prend place dans des flight-cases réalisées sur mesure, et les câbles sont numérotés au moment du montage à l’atelier. Pour faciliter les adaptations et définir la future implantation des projecteurs (la surface qu’ils illuminent, etc.), les créateurs recourent au logiciel Blender et à son plug-in Projecteur qui simule les projecteurs dans la scène 3D avec toutes leurs caractéristiques.

 

Comme les précédents spectacles immersifs d’Annabelle Mauger et Julien Baron, qui ont ouvert en 2017 la structure Lililillilil (Paris), Imagine Picasso, dont une première version avait été donnée en 2009 aux Baux-de-Provence, est destiné à voyager. Prochaine escale, New York. Quant à Imagine Van Gogh, il a poursuivi sa course jusqu’à Montréal où il a été projeté à la fin de l’année 2019 à l’Arsenal Art Contemporain (2 500 mètres carrés de surfaces projetées). Au catalogue de Lililillilil, se pressent encore d’autres géants de l’art comme Léonard de Vinci. Prévu pour les Baux-de-Provence (juste avant leur rachat par Culturespaces), ce spectacle n’avait encore jamais été montré au public…

 

Extrait de l’article paru pour la première fois dans Sonovision #18, p.48-52. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.