La haute qualité acoustique attendue dans un parcours immersif ne s’accommode guère avec l’ouverture du casque. Comment avez-vous pris en compte cette demande du Centre des Monuments Nationaux ?
Cet aspect nous a effectivement questionnés dès le début de la production car, à notre sens, la concurrence des sons réels peut détourner le visiteur de l’histoire racontée dans le casque. Cependant, le CMN tenait à ce que les visiteurs ne soient pas totalement isolés les uns des autres. Une quadrature du cercle un peu délicate mais qui fonctionne finalement bien : on s’aperçoit que la médiation au casque fait que les espaces de visite sont très calmes. La grande nouveauté ici réside dans le fait que le casque doit diffuser un son binaural avec un suivi des mouvements de la tête (head tracking). Pour faire tourner toute la scène sonore, nous avons opté pour une production en ambisonie, la méthode la moins coûteuse en termes de calcul et de nombre de canaux. Le moteur audio du casque développé par Noise Makers décode de l’ambisonie d’ordre 1 (quatre canaux) qu’il restitue en binaural en fonction de l’orientation de la tête indiquée par la boussole interne du casque. Nous aurions pu monter en ordre ambisonique pour gagner en qualité et en précision spatiale mais cela n’était pas possible pour des raisons de puissance de calcul de la puce du casque et surtout de consommation.
Vous avez cependant produit tous les contenus audio en ambisonie d’ordre 3. Pourquoi ?
En prévision d’une future mise à jour du casque ! Lorsque celui-ci pourra en effet gérer de l’ambisonie ordre 3 (seize canaux), nous disposerons des bons masters. Depuis quelques années, Radio France s’intéresse beaucoup aux archives et à leur valorisation. En fait, il n’était pas plus compliqué pour nous de produire en ordre 3. Pour passer à l’ordre 1 (quatre canaux), il suffit en effet de supprimer des canaux audio.
Quel système d’enregistrement avez-vous choisi ?
Avec le réalisateur des parcours sonores, Pascal Rueff, nous avons choisi un système microphonique permettant de capter les voix dans leur espace acoustique. Comme il n’était pas possible d’enregistrer à l’Hôtel de la Marine du fait des travaux [les enregistrements ont commencé il y a un an et demi, ndlr], le tournage a eu lieu au Château de Rambouillet (géré également par le Centre des Monuments Nationaux) où nous avons recherché des acoustiques similaires.
Après avoir fait des tests en studio, nous avons opté pour un système multicanal à huit micros encodé en ambisonique, qui nous semblait représenter le meilleur compromis pour un rendu naturel des voix et des acoustiques. Tout a été enregistré avec cette croix sauf certains éléments enregistrés en binaural natif avec une tête artificielle Neumann. Comme ce petit génie volant autour du visiteur (voir le parcours « Voyage dans le temps »). Nous voulions en effet créer un contraste entre ce personnage au statut particulier de fantôme et les autres que le visiteur rencontre et qui, eux, sont bien trackés. Nous avons donc fait cohabiter des sons qui suivent le mouvement de la tête et d’autres non.
Le tournage a duré près d’un mois. Comment avez-vous procédé ?
Selon notre technique habituelle d’enregistrement en fiction. Les comédiens (plus de cinquante au total) jouent l’intégralité de la scène en se déplaçant. Elodie Fiat, la bruiteuse qui a travaillé avec nous sur ce tournage, réalisait en même temps les bruitages ou fournissait aux comédiens les accessoires nécessaires à leur réalisation. Sans être en costume d’époque, les comédiens doivent porter des habits et des chaussures dont le son ne risque pas de trahir l’époque. Ainsi quasiment tout est réalisé dès l’enregistrement. Il ne reste en postproduction qu’à ajouter certains bruitages, ambiances et effets et musiques qu’il n’a pas été possible de réaliser sur le tournage, mais le mixage reste de fait assez simple. Le gros du travail de postproduction résidant au niveau du montage.
Par contre, pour les versions étrangères (en neuf langues), le mixage devient un poste important car il faut ajouter à la VI (les comédiens ont rejoué sur le plateau tous les mouvements et bruitages sans les voix) les voix étrangères, enregistrées en proximité par les studios étrangers. Il a donc fallu recréer toutes les spatialisations et mises en espace à l’aide de réverbérations à convolution pour lesquelles nous avions enregistré les réponses impulsionnelles sur les lieux du tournage.
Peut-on envisager d’aller encore plus loin dans l’utilisation du son immersif en contexte muséal ?
Bien sûr ! À l’Hôtel de la Marine, le casque connaît l’orientation de la tête du visiteur, mais pas l’endroit exact où il se situe dans la pièce. Aujourd’hui, nous pourrions envisager une localisation du visiteur à vingt centimètres près. Nous aurions alors à notre disposition six degrés de liberté (6DoF). Ce qui signifie, par exemple, que l’on pourrait tourner autour d’un personnage, etc. Ces six degrés de liberté vont opérer un changement très important dans la captation : le casque étant localisé comme un personnage dans une pièce. Cette captation n’est pas encore complètement validée mais nous voyons bien les technologies à mettre en œuvre.
Extrait de l’article « Un Confident à l’Hôtel de la Marine » paru pour la première fois dans Sonovision #25, p. 82-85.