Musée de Lodève : un écrin technique à la narration poétique

Réputé pour ses expositions estivales, le musée de Lodève (Hérault) s’est offert un grand lifting. Quatre ans de travaux visant à faire changer de dimension le petit musée de province. À la clé : une expérience immersive tout en subtilité, mêlant effets de lumière, mapping et animation.
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Finis les planchers qui craquent et les vitrines qui grincent. Après quatre ans de rénovation, le musée de Lodève, ville héraultaise de 7 000 âmes nichée aux pieds du Larzac, a changé d’ère. Depuis dix ans, il avait fait parler de lui pour ses expositions estivales (Gauguin, Renoir…) dépassant régulièrement les 50 000 visiteurs. Malgré tout, le site avait deux défauts majeurs : l’absence de réserves dignes de ce nom (sécurisées et climatisées) bloquait de plus en plus les prêts d’œuvres. Et des collections permanentes « invisibles », dans leur petit espace de 300 m2 au dernier étage. Pourtant, on y trouve des trésors : fossiles et traces de dinosaures, ossements et outils préhistoriques, ainsi que des œuvres du sculpteur Paul Dardé.

La municipalité a donc acté une rénovation totale. Au total, le projet aura nécessité onze ans et onze millions d’euros. Car l’objectif était de « changer de dimension, détaille la conservatrice Ivonne Papin. La Ville voulait en faire un équipement structurant pour le territoire, capable de capter un public plus large, familial. » En d’autres termes : lui donner une envergure régionale, voire nationale.

Accompagnés par l’AMO AG Studio, les élus ont donc sélectionné en 2011 une équipe aux références multiples : Projectiles (architecture, scénographie), Comment (scénographie audiovisuelle), l’atelier H Audibert (lumières), Polygraphik (graphisme), Videlio IEC (intégration), Sequoia (agencement), auxquels s’est greffé en 2017 le studio d’animation Les Fées spéciales (contenus).

 

 

Avant-gardiste

Valoriser à la fois un sculpteur et des vestiges d’un passé lointain (silex, fossiles…) peut sembler complexe. « On s’est parfois gratté la tête », concède Daniel Meszaros, cogérant de l’agence Projectiles. « Cela nous a demandé des années de travail, mais ce fut passionnant », nuance Pierre Tailhardat, fondateur de l’agence Comment. Car il a fallu composer avec un comité scientifique « particulièrement exigeant »…

Après quatre ans de travaux, le musée a rouvert l’été dernier avec une surface doublée (2 500 m2), un nouveau grand parvis… Il donne enfin une large place aux collections permanentes. Et même si une idée commune a été pensée (« la trace, l’empreinte laissée par le temps »), le musée n’a pas eu d’autre choix que de créer trois espaces : sculpture, archéologie et sciences de la Terre.

Et le contraste est saisissant : si la zone « Paul Dardé » offre un style « Beaux-Arts » très classique, une approche avant-gardiste, entre émotion et multimédia, a été privilégiée pour les secteurs des temps anciens. Le résultat : un dialogue de 1 000 m2 entre l’homme préhistorique du néolithique (rez-de-chaussée), et l’évolution de la Terre (second étage). « On raconte les objets en leur faisant dire quelque chose », synthétise Daniel Meszaros. Ce qui justifiait l’innovation technologique « à une dose mesurée. Les collections devaient demeurer au premier plan. On n’allait pas mettre des hologrammes dans tous les sens ! »

 

 

Magique et intimiste

La mise en scène est soignée, notamment l’ambiance lumineuse en clair-obscur. En l’absence de fenêtres, rendues aveugles, la volonté est de plonger le visiteur en immersion, loin du monde extérieur. « On plonge le public au fond des mers internes et des Causses, à la recherche des traces de vie », murmure Pierre Tailhardat. « La lumière tamisée nous enveloppe, précise l’architecte Daniel Meszaros. Cette atmosphère magique et intimiste nous extrait du contexte immédiat. »

Un travail fin de l’atelier H Audibert, qui a multiplié, selon sa chargée de projet Nina Cammelli, les petites sources lumineuses (mini projecteurs Loupi de 2 watts, réglettes led, wall washers iGuzzini laser blade…) pour dessiner les ombres et donner de la profondeur aux vitrines. « Sur les murs, les fresques sont à peine éclairées, décrit Nina Commelli. Des lumières rasantes participent à ce côté évanescent et confiné. Le résultat se veut doux et confortable. »

Un cocon d’intimité propice à une muséographie immersive. Car la conservatrice revendique une narration « poétique et onirique, et non pas documentaire. Il n’y a pas beaucoup d’objets, mais ils sont mis en scène, comme dans un cabinet de curiosité. On est dans l’évocation, l’émotion, la légèreté… ».

L’émotion, c’est un fond sonore d’orage face à des gouttes de pluie fossilisées. Ou redonner vie aux objets à travers des dessins animés 2D. Au fil des salles de l’espace néolithique, une dizaine d’écrans dévoilent une mini-série. Chaque épisode d’une minute met en scène une famille préhistorique en train d’utiliser ce que l’on voit dans les vitrines voisines. « On cherche à contextualiser les choses, apporter de la narration plutôt qu’une simple démonstration », tranche Flavio Perez, qui a coordonné la partie contenus pour Les Fées spéciales.

Le style simple et naïf est assumé. « On est resté dans quelque chose de frais et d’intemporel. On devait éviter l’hyper réalisme, des images qui vieillissent vite… » Le résultat réjouit la conservatrice : « On démystifie l’image de l’homme préhistorique, car on peut s’identifier aux personnages. Le cinéma d’animation est compréhensible à tout âge. Cette approche simple évite des commentaires interminables ! »

 

 

Des temps forts

Une dizaine d’installations high-tech constellent les salles et rythment l’expérience, sans pour autant écraser les collections. « On redonne du sens à l’information scientifique, avec une touche d’onirisme », résume Stéphane Fouché, chargé des collections Sciences de la Terre.

La plus impressionnante, c’est cette projection de six minutes sur un écran incurvé de douze mètres, qui introduit l’étage des Sciences de la Terre. Gérés sans chevauchement par un serveur Modulo Pi 4 flux, quatre projecteurs à courte focale Canon WUX 450 ST de 4 500 lumens diffusent en boucle un voyage dans le temps jusqu’aux origines de la Terre. Un outil indispensable pour Daniel Meszaros : « c’est une porte d’entrée douce pour un thème qui peut sembler difficile d’accès. Il donne des clés de lecture, avec un code couleur que l’on retrouve dans les salles. »

Sous l’écran, des boîtes contrôlées par une console DMX révèlent au fil des images des fossiles témoins des différentes époques. « De quoi modifier la perception de la projection, lance Pierre Tailhardat, les gens sont plus impliqués dans ce qu’ils voient. C’est un chemin intéressant vers une nouvelle forme de narration. »

Second moment fort de la visite : ces mappings verticaux sur grandes maquettes 3D, jouant avec les reliefs pour raconter le volcanisme, les déplacements humains, la montée des eaux… Les images proviennent de projecteurs Panasonic PT-RZ475 de 3 000 lumens dotés de lecteurs Broadsign. Ils s’activent lorsque le public appuie sur un bouton, déclenchant l’envoi d’un ordre d’un automate Crestron.

« La maquette apporte un élément physique, tangible, à la projection », juge Daniel Meszaros chez Projectiles. « On revient aux vieilles idées des musées scientifiques, où l’on pouvait éclairer un processus avec un bouton », sourit Pierre Tailhardat. Dessinés par Les Fées spéciales à partir de cartes spatiales, ces mappings sur maquette ont demandé « un immense travail » de calage, selon l’équipe technique.

 

 

Piste d’avenir

Le visiteur passera aussi du temps devant cette immense dalle obscure, où est reproduit un parcours de dinosaures, à partir de moulages de traces fossilisées. Synchronisés par DMX avec les images 3D de quatre écrans, des projecteurs révèlent progressivement les pas en réalité augmentée. « Grâce à la projection, l’écran sert de périscope, pointe Pierre Tailhardat. On suit l’animal à la trace. »

Enfin, il ne faut pas manquer le « Google Earth du temps », un grand écran recouvert d’un film tactile, relié à un ordinateur Nuc. Il permet de manipuler la Terre et jouer avec la frise du temps, pour observer la dérive des continents. Stéphane Fouché signale que le public utilise massivement l’outil. « On est sans doute les premiers à proposer un outil aussi accessible sur un sujet aussi complexe ! »

 

Depuis sa réouverture, le musée a gagné 30 % de public familial. Le livre d’or regorge de félicitations sur l’accessibilité, l’aspect ludique. « On a réussi notre objectif », s’enthousiasme Ivonne Papin. Daniel Meszaros estime que ce projet « dépoussière le statut du musée de province. Il devient un lieu d’expériences, avec différents niveaux de lecture ». C’est là le fruit d’un travail collectif, témoigne Pierre Tailhardat. « Projectiles n’a pas imposé son diktat, mais a été à l’écoute. Le résultat s’en ressent : on n’est pas dans un musée presse-bouton. Voir les gens rester devant des discours scientifiques de cinq minutes, c’est inespéré… ».

Florent Sauzedde, chef d’agence chez AG Studios, y voit une clé pour l’avenir : « Un musée ne peut plus être seulement dans le cartel. C’est désormais un outil culturel. On se doit de raconter une histoire, d’être dans la pédagogie active, avec des dispositifs intergénérationnels. »

Et même si selon Flavio Pérez le projet était « fou, peut-être démesuré », Pierre Tailhardat assure qu’il préfigure l’avenir. « L’intimisme, la subtilité, c’est une voie à explorer pour les musées de demain. »

 

 

Article paru pour la première fois dans Sonovision #15, p.72-73. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.