Pour être au plus près de l’histoire, le musée de la Libération de Paris, du Général Leclerc et de Jean Moulin fait peau neuve pour les 75 ans de la Libération en transférant ses locaux (anciennement sur la dalle de la Gare Montparnasse) à l’endroit où s’est planifié et organisé, dans le plus grand secret, le soulèvement populaire de Paris d’août 1944. À savoir, juste au-dessus du QG de commandement du colonel Rol-Tanguy, qui avait choisi de s’installer dans un abri souterrain destiné à protéger la population parisienne en cas d’attaque chimique des Allemands.
Pour attirer le jeune public, peu au fait de cette période d’une histoire dont les protagonistes disparaissent peu à peu, le musée géré par Paris Musées a pris soin de se doter d’une médiation innovante, dont une application en réalité mixte inédite d’une durée de 25 minutes. Le parti pris donné par l’historienne Sylvie Zaidman (également conservatrice du musée), à savoir bâtir le récit de la Libération à la fois à partir des grandes figures historiques, mais aussi des témoignages de héros anonymes, contribue également au succès de ce musée qui sait mettre l’histoire à hauteur des habitants.
Au plus près de l’insurrection
Ouvert pour la première fois au public, le QG de Rol-Tanguy, le chef des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI), a été laissé presque en l’état : « Contrairement au Churchill War Rooms de Londres, l’abri, qui se trouve au même niveau que les Catacombes, a été sobrement restauré », décrit la scénographe Marianne Klapisch (agence Klapisch Claisse). « Il était important de conserver l’ambiance. On accède ainsi à l’abri par une centaine de marches assez raides, le couloir en béton armé desservant les bureaux où s’activaient les FFI porte encore les chemins de câbles. »
Comme l’abri de défense passive était dépourvu de tout ameublement (la préparation de l’insurrection n’ayant duré qu’une semaine), ont été installés un cyclo générateur qui servait à filtrer l’air en cas de bombardement ainsi qu’un cyclo pédaleur en cas de panne d’électricité.
Mais comment fonctionnait ce lieu confiné à 20 mètres sous terre investi par Rol-Tanguy et son état-major (une trentaine de personnes) ? Quelle était l’ambiance de ces journées pré-insurrectionnelles ? C’est ce que dévoile et évoque, sous la forme d’une fiction, l’application en réalité mixte réalisée par Realcast.
Grâce aux lunettes Hololens connectées avec des trackers de mouvement, le visiteur, qui incarne un journaliste de l’époque, rencontre au fil de sa visite les protagonistes de l’insurrection. Ceux-ci apparaissent sous forme d’hologrammes 3D : des jeunes FFI, des opérateurs téléphoniques, la secrétaire Lucie (en fait Cécile Rol-Tanguy) et, bien sûr, le colonel en personne.
Élaborée par les équipes du musée de la Libération, de Paris Musées et de Realcast à partir de témoignages et d’archives diverses, l’application raconte l’histoire à partir d’anecdotes. À chaque pièce traversée, une découverte spécifique : dans une salle, le journaliste, qui prend des notes, découvre comment construire des barricades, dans l’autre il doit lire des coupures de journaux (Franc-tireur, Combat et L’Humanité), localiser sur des cartes l’avancée des forces alliées, ainsi que les quartiers de Paris encore aux mains de l’occupant. Et dans le bureau de Rol-Tanguy, il prend connaissance du célèbre appel à l’insurrection, lequel vient juste d’être écrit. Le journaliste immortalise cet instant en prenant une photo… qui n’est autre que la vraie photo.
« Le storytelling de l’application est basé sur un film tourné dans le PC de Rol-Tanguy quelques jours après la Libération », rappelle Philippe Rivière, directeur des développements numériques à Paris Musées. « Nous nous sommes aussi beaucoup inspirés des écrits de Rol-Tanguy sur l’organisation dans le bunker. »
Si le niveau d’interactivité de l’application est moins élevé que dans les jeux vidéo (sujet oblige), un système d’aide au visiteur a été prévu afin de faire avancer la narration. Dans ce lieu exigu (seuls 200 mètres carrés sont accessibles au public). Pas question en effet de rester trop longtemps dans une salle : pour des raisons de sécurité et parce qu’il n’y a qu’une seule issue de secours, pas plus de 19 personnes par session, équipées des lunettes immersives, ne peuvent descendre dans le QG, et trois scenarii ont été écrits qui permettent de différencier les parcours.
« C’est notre projet le plus ambitieux », relève Nino Sapina, directeur de Realcast. « La plupart des scènes ont été traitées en motion capture (au studio Effigy, ndlr). Nous avons recouru à Unity et à des outils spécifiques. » Pour parfaire la sensation d’immersion de l’application qui n’est consultable que sur place, un design sonore a été créé par le compositeur Nicolas Bredin pour le système Hololens.
L’histoire au jour le jour
Après avoir côtoyé de très près les héros, le visiteur retrouve, à la surface, un autre déroulé de l’histoire, abordée cette fois-ci de manière plus thématique et chronologique par Marianne Klapisch qui a su tirer profit des espaces contraints du musée (faible hauteur sous plafond, succession de petites salles) pour raconter les grandes figures de la Libération (le maréchal Leclerc de Hautecloque, de Gaulle, Jean Moulin…) mais aussi rendre hommage aux héros anonymes comme Madeleine Riffaud. « Cette contrainte spatiale fonctionnait bien avec la thématique : la Résistance. »
De nombreux objets (uniformes, journaux, affiches datant de la Seconde Guerre mondiale) jalonnent la démonstration ainsi que des témoignages filmés inédits (très émouvants) et des archives vidéo qui constituent de véritables espaces de respiration dans le parcours : « Pour que le public se repère à la fois dans la chronologie et la géographie, nous avons créé des typologies différentes en fonction du type de média audiovisuel utilisé. Nous avons ainsi trois cartes interactives (réalisation par l’agence multimédia Réciproque), des feuilletoirs au format horizontal incluant éventuellement des cartes, des films courts montés en boucle illustrant des faits spécifiques en relation avec un objet exposé. Sans oublier deux dispositifs audiovisuels monumentaux. »
Le premier de ces dispositifs, qui agence horizontalement plusieurs moniteurs 16/9 et leurs lecteurs synchronisés, illustre l’Exode : « La France est à terre, les gens fuient… Les images d’archives sont intercalées avec des cartes qui racontent la progression des Allemands », poursuit Marianne Klapisch qui a mis au point le dispositif avec le designer Michel Fougère pour la conception technique.
Quant à l’épilogue du parcours, très attendu par le public, il a lieu sous une grande verrière dans l’atrium. Pas de murs écrans monumentaux pour traduire la liesse de la Libération et la descente des Champs-Elysées par de Gaulle, mais un imposant dispositif audiovisuel composé de 18 cubes de miroirs multi-facettes, surmonté de lampions tricolores. « Cet empilement d’écrans et de miroirs évoque l’effervescence de cette journée », décrit la scénographe qui signe également la conception de ce dispositif avec Michel Fougère. « En s’apercevant dans la structure, les visiteurs ont la sensation de faire partie de la foule. Cet assemblage nous permet aussi de découper les films, de faire des gros plans afin de mettre en exergue certains moments, etc. »
Pilotée par Paris Musées et le musée de la Libération, qui a fait numériser en 4K une partie des images, la réalisation audiovisuelle a été mise en forme par la société Découpage (Paris), qui s’est également chargée des portraits filmés, et validée sur un prototype construit à échelle 1 chez ETC Audiovisuel : « Nous avions trouvé des moniteurs Samsung au format carré », précise Laurent Segelle (ETC Audiovisuel) qui s’est chargé de l’installation audiovisuelle. « Mais, après la consultation, Samsung venait d’arrêter le produit. Nous avons été obligés de trouver des dalles équivalentes. »
Pour les autres configurations du musée, les archives (en provenance de l’Ina ou de sources américaines) en 4/3 sont diffusées sur des écrans 16/9 « recadrés » dans un mobilier adéquat afin de rappeler le format originel. La plupart des dispositifs sont équipés d’enceintes de proximité ou d’enceintes directionnelles comme celles de la gamme Spot-M de RSF (Toulouse). Histoire de rester dans l’ambiance et le ton de l’époque.
Extrait de l’article paru pour la première fois dans Sonovision #17, p.16-18. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.
Retrouvez ici notre interview vidéo de Nino Sapina, co-fondateur de RealCast qui a élaboré le dispositif en réalité augmentée d’Insurrection 1944, arme de guerre pour le Musée de la Libération, Grand Prix AR de la dernière édition de 360 Film Festival…