« La Joconde », une exposition aux multiples entrées

Première exposition itinérante immersive coproduite par le Grand Palais Immersif et le Musée du Louvre, « La Joconde, exposition immersive » donne, grâce au « format » immersif, les moyens de s’approprier l’icône.
Toutes les vingt minutes, La Joconde (son visage, ses yeux, son sourire…) inonde l’espace d’exposition de manière spectaculaire. © Photo Claude Almodovar / GPI

 

Première exposition itinérante coproduite par le Grand Palais Immersif et le musée du Louvre, « La Joconde, exposition immersive » aurait dû inaugurer, en septembre prochain, le nouveau lieu parisien dédié aux expositions immersives.

Pour des raisons de disponibilité du site, l’exposition s’est momentanément posée à Marseille dans le grand atrium du Palais de la Bourse jusqu’au 21 Août  2022). Une préfiguration grandeur nature pour ce nouveau type d’exposition que le Grand Palais Immersif entend promouvoir : « Ces expositions immersives articulent une innovation esthétique, narrative et technologique, tout en apportant un point de vue artistique fort et original », décrit Roei Amit, directeur général du Grand Palais Immersif.

Pas question d’ouvrir un énième lieu immersif (comme l’Atelier des Lumières par exemple) : ces nouvelles expositions numériques, qui cultivent les interactions avec les publics, mettent en avant une conception narrative sensible et originale, sous-tendue par un propos scientifique et une scénographie sur mesure (signée à chaque fois par une équipe de maîtrise d’œuvre différente) ainsi que par un parcours audiovisuel défini au cordeau. Le tout suffisamment flexible pour s’adapter à d’autres lieux.

 

Enveloppant l’espace d’exposition, une « peau paysage », constituée en matt painting 2D à partir de paysages léonardesques, se métamorphose en temps réel dès que le visiteur s’en approche. © Photo Claude Almodovar / GPI

Immersions spatiales et temporelles dans « La Joconde »

Société de l’image oblige, c’est l’image « la plus vue au monde mais la moins regardée », La Joconde, qui est passée au crible de cette première expérience immersive. Selon le conservateur et commissaire Vincent Delieuvin, le parcours proposé, qui remet en perspective les connaissances sur le sujet et se déploie sur près de 500 mètres carrés, fait remonter le temps à la recherche d’« indices » à activer pour décrypter le tableau (son histoire, sa nature, ses aventures), mais aussi prendre la mesure de son statut iconique unique.

Scénographiée par Sylvain Roca (expositions « Sites éternels », « Pompéi »…), mandataire du groupement de maîtrise d’œuvre, et par Mardi 8 –Artisans d’idées (exposition « Pompéi ») qui cosigne la conception du parcours numérique ainsi que la production et l’installation de tous les médias, l’exposition s’articule autour de six chapitres dont cinq grands modules courbes. Ceux-ci font office à la fois de supports de projection dans la partie concave et d’accroche pour des écrans interactifs de l’autre côté.

Enveloppant ces panneaux, une longue « peau-paysage » constituée d’une toile de vidéoprojection de 70 mètres de long par 5 mètres 50 de haut est composée à partir de matt paintings de paysages que le peintre avait coutume de placer derrière ses portraits (La Joconde, La Vierge aux Rochers et Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus jouant avec un agneau). La définition en gigapixels 16K des scans fournis par l’agence photographique de la Rmn est d’une précision telle qu’un petit coup de pinceau du maître devient ici gigantesque. La fresque numérique toutefois ne se contente pas d’être un rase-motte vertigineux à la surface de la matière picturale. Elle décline aussi à sa manière le fameux fondu enchaîné du peintre.

 

Les visiteurs peuvent « s’approprier » l’icône picturale au travers d’applications interactives. Tous les médias ont été conçus et produits par l’agence Artisans d’idées. © Photo Claude Almodovar / GPI

Repérés par des caméras 3D installées à proximité, les déplacements des visiteurs induisent en effet de subtiles variations dans le matt painting qui s’ouvre peu à peu sur d’autres panoramiques toujours signés par Léonard. Pour mettre au point ce dispositif déambulatoire, qui donne la sensation que l’espace du tableau est quasi infini et que le lieu d’exposition, conçu comme une « boîte » noire, est ouvert sur l’extérieur, l’équipe a recouru au parc matériel de la Rmn dont près d’une vingtaine de vidéoprojecteurs Digital Projection E-Vision Laser 4K-UHD à très courte focale.

La sensation de proximité avec l’œuvre est accentuée également par le design sonore. Si le son d’ambiance composé par l’artiste Rone à partir de bruits naturalistes donne l’impression de s’évader dans l’univers du peintre, une subtile couche sonore, qui réagit à la présence des visiteurs devant la fresque, agit comme une « poursuite sonore » dans la déambulation. Afin de conforter l’écoute de proximité et de limiter les volumes sonores, une trentaine d’enceintes en 4.1 ont été reparties le long de la fresque.

L’immersion se décline également à une échelle moins monumentale et plus contemplative. Réalisés par Nicolas Autheman, six films de 4 minutes 30, diffusés sur les panneaux courbes, permettent de découvrir les récits que tiennent à raconter les conservateurs et historiens. Traités en motion design (animation de graphismes 2D/3D et de typographies, incrustation d’acteurs rotoscopés) et sans voix off, ceux-ci reviennent, de manière légèrement décalée, sur la naissance de l’icône maintes fois copiée, la véritable identité de Mona Lisa, lèvent le voile sur la technique picturale employée par Léonard afin d’estomper les lignes de contour (le fameux « sfumato »), rappellent le vol rocambolesque du tableau et son retour en Italie, montrent ses copieurs les plus zélés…

 

Signée par l’artiste Rone, la bande son de l’exposition participe à une lecture nouvelle du chef d’œuvre. © Photo Claude Almodovar / GPI

 

Ces diverses « plongées » dans la peinture sont accompagnées par une bande son diffusée en 4.1 et issue du catalogue de Rone, laquelle apporte un autre éclairage plus contemporain du chef d’œuvre sans venir parasiter les focus narratifs. Toutes les vingt minutes, les projections parfaitement synchronisées s’arrêtent et font place à un montage inattendu et graphique réalisé à partir de détails agrandis du tableau (les yeux, le sourire, les mains de Mona…) : un effet « climax » comme dans l’exposition « Pompéi » (en 2020 au Grand Palais) destiné à créer une rupture dans la projection et à engager encore plus fortement l’attention des publics. La musique acquiert pour le coup plus de relief dans l’espace.

Au dos des panneaux courbes se trouvent enchâssés les dispositifs interactifs (une trentaine en tout). Reprenant le thème décliné cette fois-ci sous une forme ludique, ils poursuivent la mise en image et invitent à s’approprier l’œuvre de manière interactive cette fois-ci. Soit en composant son propre tableau, en customisant la peinture, en menant l’enquête (le vol du tableau), etc. Ils ont été conçus avec des interactions très simples afin de ne laisser de côté aucun public : « L’idée est que le visiteur demeure acteur de son interaction », précise Youenn Le Guen, fondateur d’Artisan d’idées, une holding regroupant cinq entreprises spécialisées*. « Et qu’il ait la sensation de toucher le chef-d’œuvre mais cette fois-ci en le manipulant, en en observant les moindres détails, ce qu’il ne peut évidemment pas faire dans la réalité. »

 

Six récits visuels permettent d’aborder, toujours en recourant à l’immersion, l’origine du mythe de « La Joconde ». © Photo Claude Almodovar / GPI

Compacte et modulaire, l’exposition marseillaise, dont la régie est également intégrée dans un panneau courbe, est indépendante du lieu. La « boîte noire » peut donc être accueillie par d’autres sites (la programmation est en cours) et se distribuer sous d’autres configurations : avec ou sans toile périphérique de vidéoprojection, des modules de taille différentes, etc. Pour Artisan d’idées, qui fait également partie d’Expédition Spectacle (exposition « Odyssée sensorielle »), le projet est une première :

« Nous assurons pour la première fois la direction d’exploitation d’une exposition qui comprend, outre la conception et production des médias, la gestion des flux de visiteurs, la billetterie ainsi que la gestion de la boutique. Cette prestation globale (de la conception à l’exploitation) nous permet d’aborder tous les aspects d’une exposition immersive. Elle ne manquera pas d’avoir des incidences sur notre manière de concevoir nos futurs projets. »

La holding basée à Marseille prévoit en effet de produire, à terme, ses propres expositions immersives et, à l’horizon 2024, d’ouvrir un lieu permanent à Marseille. Pour le Grand Palais Immersif, cette première exposition devrait s’avérer payante : l’expérience en réalité virtuelle E »n tête-à-tête avec la Joconde » réalisée il y a trois ans par le musée du Louvre (production Emissive) ayant attiré plus d’un million de visiteurs…

Associé au projet, TikTok propose pour sa part d’incarner La Joconde au moyen de filtres en réalité augmentée accessibles depuis sa bibliothèque d’effets. Histoire de faire voyager encore plus loin l’icône la plus « instagrammée » au monde, qui continue à véhiculer, cinq siècles après avoir été peinte, autant de fascination.

 

* Artisan d’idées regroupe cinq filiales spécialisées : Lundi 8 (conception de scénographies numériques), Mardi 8 (production de contenus), Mercredi 8 (fourniture de matériel), Jeudi 8 (recherche et développement de dispositifs innovants) et Vendredi 8 (production et exploitation d’expositions numériques).

 

Fiche technique

  • Titre : La Joconde, exposition immersive
  • Conseil scientifique : Vincent Delieuvin, conservateur en chef de la peinture italienne du XVIe siècle au musée du Louvre
  • Direction d’exploitation et production numérique : Artisans d’idées
  • Scénographie : Atelier Sylvain Roca
  • Scénographie numérique : Lundi 8 – Artisans d’idées
  • Réalisateur : Nicolas Autheman
  • Production numérique : Mardi 8 – Artisans d’idées
  • Conception graphique : Sabir Studio
  • Conception lumière : Aura
  • Musique : Rone
  • Design sonore : Elias Arias /Mardi 8 – Artisans d’idées

 

Extrait de l’article paru pour la première fois dans Sonovision #27, p. 54-58