Issu du musée des ATP (Arts et Traditions Populaires), le MuCEM (Musée des Civilisations d’Europe et de la Méditerranée) poursuit à Marseille, depuis 2013, la vocation de musée de société : « Nous enregistrons la parole de ceux qui ne l’ont pas et la restituons sous forme d’entretiens. Depuis les années 70, nous produisons, dans le cadre de nos expositions, des audiovisuels, dont des “enquêtes-collectes”, que nous diffusons et conservons », rappelle Denis Chevallier, conservateur général. Cette triple activité (production, diffusion et archivage) est unique en France.
De même est unique la collection du MuCEM, composée d’un millier de films montés auxquels viennent s’ajouter les dizaines de milliers d’audiogrammes provenant pour partie du musée des ATP (collectés depuis les années 30), telles les 80 000 entités sonores, les 350 000 photos, etc.
Enquêtes-collectes
Déjà en usage au musée des ATP qui disposait d’un service Tournage et Postproduction, les enquêtes-collectes sont au cœur du musée ethnographique qui recourt également, afin de documenter les territoires et les sociétés, à des films de commande, des films d’animation, des montages d’archives, voire des extraits de longs métrages. Les expositions produites par le MuCEM (« Noir et bleu », « Le monde à l’envers », « Lieux Saints partagés », etc.) s’inscrivent dans cette tradition et confirment la pertinence de ce mode d’acquisition spécifique. Menée par Denis Chevallier, « Vie d’ordures » (jusqu’en septembre 2017) est toutefois la première à faire appel à des professionnels de l’image et du son pour la réalisation et la postproduction.
« Le MuCEM dispose de moyens de production importants (dont un studio d’étalonnage 4K équipé en DaVinci et d’une cabine de son speak, ndlr). Les réalisateurs peuvent monter et postproduire chez nous. Mais lorsque le volume des films est élevé (il a triplé en trois ans), le recours à une externalisation de la production devient nécessaire », précise Nathalie Belly, chargée des productions audiovisuelles
Pour cette exposition qui traite de l’économie des déchets, des réalisateurs très au fait du sujet (ou déjà sur place) ont accompagné les équipes du musée tout autour de la Méditerranée. Une quinzaine d’enquêtes-collectes représentant plusieurs centaines d’heures de rushes ont été produites en HD : « Au Maroc, nous avons filmé la fabrication d’objets à partir de pneus usagés ; à Istanbul, des collecteurs de rue, etc. », raconte le commissaire d’exposition.
Mise en scène par Encore Heureux (avec BK Club Architects), l’exposition a réservé, pour ces films qui n’excèdent pas quatre minutes, une trentaine de points de diffusion. Le propos est également porté par des vidéos documentaires, des images d’archives et même un extrait du film Gravity (la fameuse scène des déchets gravitant dans l’espace).
Pas d’effet immersif ni de surenchère néanmoins dans ces mises en scène audiovisuelles, hormis l’installation du sas d’entrée : « Nous tenions à créer un effet de sidération en confrontant deux vidéos, précise l’architecte Julien Choppin. Sur l’un des murs, une vidéo montre, de manière saccadée, des camions déchargeant des ordures. De l’autre côté, un plan séquence s’attarde sur une vache broutant des sacs en plastique en Albanie. »
Le matériel audiovisuel mis en place provient du propre parc du MuCEM. Celui-ci est conséquent (avec une vingtaine de vidéoprojecteurs Projection Design (4 500 lumens) et Christie (jusqu’à 12 000 lumens), lecteurs BrightSign, systèmes de pilotage Crestron et Watchout (pour les multiprojections synchronisées), écrans de 22 à 75 pouces…), et permet au musée de couvrir l’essentiel de ses besoins à la fois pour les expositions fixes et temporaires.
Cette année, le musée, qui postproduit déjà en 4K, a prévu de renouveler en partie son parc : « Nous nous tournons vers des vidéoprojecteurs laser afin de réduire les coûts de maintenance. Pour diminuer les coûts d’installation (et simplifier les câblages), nous allons généraliser la connectique HDBaseT (compatible avec nos matrices Wyrestorm). Nous allons ainsi compléter notre parc d’écrans par des 4K pour HDBase T, et pour l’audio, choisir des enceintes Fohhn (gamme Airea) », précise Filippo Vancini, responsable exploitation multimédia.
Cap sur la numérisation
Entreprise déjà aux ATP, la numérisation des collections a toujours visé un double objectif : la conservation du patrimoine, mais aussi la valorisation et la consultation dans des formats exploitables.
Fin 2016, le MuCEM (établissement public depuis 2013) a lancé, via un appel d’offres public, un marché de numérisation par lots du reste de ses archives audiovisuelles conservées au CCR (Centre de Conservation et de Ressources). La société de Serge Bromberg, Lobster Films, a reçu la charge de la numérisation des audiovisuels et la fourniture de supports numériques au plus proche de l’original et de supports de diffusion éventuellement retravaillés. C’est l’agence sonore marseillaise Domino Studio qui a été choisie pour la numérisation des fonds sonores, un volume conséquent composé par plus de 18 000 entités : bandes magnétiques, cassettes audio et disques vinyles (du 78 t au 33 t).
Pour ce chantier « historique », l’agence sonore, qui est intervenue sur plusieurs expositions phares du MuCEM (en prises de son, mixages de films, etc.), a prévu une prestation sur mesure. Cyrille Carillon explique : « Nous nous sommes basés sur une moyenne de 30 heures numérisées par semaine. Nous revendiquons cette approche artisanale et cette petite capacité de production. »
Pour lire ces diverses sources audio, l’agence dispose d’un parc de machines analogiques : platines Pierre Clément et Technics, lecteurs pro Revox et Technics pour les cassettes audio, systèmes de lecture de bandes Nagra et Studer. Afin d’améliorer le rapport signal sur bruit de toutes ces sources (surtout pour le support vinyle), le studio s’est rapproché de plusieurs laboratoires. Deux formats différents de numérisation ont également été retenus pour la conservation et la valorisation de ce patrimoine sonore : en 96 kHz (format wav 24 bits) pour l’archivage, et au format mp3 (192 kbps ou 320 kbps) pour la version de diffusion.
« Il est essentiel que le format soit exploitable sur Internet – nous préconisons le 320 – afin que l’équipe du musée puisse consulter, sans problème de débit, les bases de données sonores numérisées. Il faut aussi que celles-ci puissent être intégrées dans des dispositifs de type audioguide et lecteurs média en expo. »
Une fois numérisées, les collections inédites du MuCEM seront alors mises à la disposition des chercheurs au CCR, mais aussi du public via la valorisation par les programmes des expositions temporaires, puis potentiellement en ligne lorsque les questions de droit auront été réglées. Pour l’instant, seul l’inventaire de l’ensemble des ressources documentaires (fonds sonores et audiovisuels) est accessible en ligne.
* Extrait de notre article paru pour la première fois dans Sonovision #7, p. 46-47. Abonnez-vous au magazine Sonovision (1 an • 4 numéros + 1 hors-série) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.