Les espaces rénovés de l’Archevêché à Rouen auraient pu être investis « muséalement » pour relater l’histoire de la sainte. Le maître d’ouvrage (la CREA), le muséographe Claude Mollard et la scénographe Clémence Farrell en ont décidé autrement. Ils ont préféré faire de l’Archevêché un lieu de mémoire et donner une relecture contemporaine au vieux mythe. Le parcours déambulatoire d’environ 1000 mètres carrés qu’ils proposent s’appuie délibérément sur l’image projetée tout en s’inscrivant dans le lieu même où s’est déroulé le procès posthume de Jeanne. De la crypte au grand comble retentit donc l’épopée de Jeanne d’Arc, ses faits d’armes, ses procès mais aussi son enfance. Et le public est invité, de salle en salle, à s’émouvoir, mener lui aussi l’enquête en suivant le procès en réhabilitation et s’interroger sur les multiples interprétations et récupérations du mythe.
Cette grande histoire, la scénographe Clémence Farrell, assistée par Anamnésia pour les dispositifs multimédias, a demandé à la société de production de documentaires Les Films d’Ici (Philippe Barbenès) et au réalisateur Olivier L. Brunet (voir encadré) de la mettre en images. Une production audiovisuelle particulière, d’une durée totale de 50 minutes, fragmentée en autant de parties qu’il y a de pièces à visiter : « Les visiteurs passent d’une salle à l’autre selon un tempo imposé, raconte le réalisateur. Ils se retrouvent donc presque comme au cinéma sauf que le « film » est décomposé en six parties, lesquelles n’ont à voir en terme de diffusion ni de format (carré, panoramique…). »
Comme il n’était pas envisageable, vu les délais (six mois à peine de production), de réaliser des tournages adaptés à chaque pièce, la totalité de la production, qui repose sur une riche iconographie, a été tournée en 4K avec six caméras Blackmagic dotées d’optiques Canon afin de faciliter les recadrages. Toujours pour des raisons de planning, un seul tournage a lieu au studio Carnot 34 à Montreuil avec vingt-deux comédiens (pour la plupart des professionnels de la région) qui incarnent les témoins du procès en réhabilitation.
Ceux-ci sont filmés sur fond noir dans des espaces dont la conformation se rapproche des salles dans lesquelles ils vont être projetés. Très théâtrale, la mise en scène comporte peu de mouvements de caméra : « Nous faisions jouer les comédiens par groupe. Chacun était filmé par une caméra différente. Nous ne réalisions que deux prises au maximum. » Si le spectacle est mis en boîte en une seule semaine à raison de cinq à six heures de tournage par jour (pour 9 teras octets de rush au total), le montage prendra, en revanche, plus de trois mois sur final cut. « La somme des médias à produire, si l’on met bout à bout toutes les pistes vidéos, était équivalente à plus de 6 heures d’images ! »
Défini précisément par Clémence Farrell (d’après le cahier des charges des programmistes), le parcours scénographique est jalonné de dispositifs de projection spécifiques à chaque salle : projections sur tulle, écrans en verre, dalles de rétroprojection, écran panoramique, mapping 3D… Conformément au parti pris scénographique, ces supports ont été choisis de sorte à ne pas dénaturer les lieux historiques.
Omniprésent, l’audiovisuel se glisse ainsi dans la cuisine dont les grandes cheminées sont simplement habillées par des écrans de tulle de projection. Dans la bibliothèque, la projection s’appuie sur le mur du fond et le pilier central, cerclé par une table lumineuse. Clou du parcours, le grand comble, où est restitué non pas l’ultime procès de Jeanne, lequel la conduira au bûcher, mais sa réhabilitation 25 ans plus tard, accueille un dispositif immersif de grande ampleur. Flanquée sur ses bas-côtés d’imposants écrans en verre et fermée par un hémicycle d’écrans de la même taille (14 au total), la salle vise à l’évidence à prendre à partie le public. Mise en place par la société Auvisys, retenue en appel d’offre sur les lots son, vidéo et éclairage, l’installation audiovisuelle de l’Historial, étudiée par le bureau d’études Cotavim, décline toutes les gammes de vidéoprojecteurs de chez Vivitek (à courte focale) et Digital Projection.
Pour le fabricant, l’Historial constitue l’une de ses plus grandes références en muséo en France. Plus de 50 projecteurs ont été en effet livrés, dont plus de la moitié sont des Digital Projection. Pas de surprise si les mono DLP E-Vision de la série 6000, du fait de leur faible encombrement et de leur déport de l’électronique de déformation, ont été choisis, ainsi que des 7 500 full HD dotés d’une interface HDBase T. Pour assurer la bonne marche de cet important déploiement matériel, l’intégrateur s’est tourné vers Videmus qui commercialise la solution Watchout et les serveurs vidéos Watchpax2. Disséminés le long du parcours, ces derniers, du fait qu’ils peuvent se placer près des sources, ont permis de réduire notablement le câblage. C’est une gestion Medialon Manager décentralisée qui pilote en DMX l’image (au total 62 flux vidéo synchronisés), le son et la lumière. Enfin, un outil mobile d’aide à la visite, l’Optima 6 de chez RSF, permet de synchroniser les spectacles dans cinq langues différentes.
Avec l’équipe Videmus qui a programmé le spectacle, Olivier Brunet va finaliser le montage et installer les médias sur place : « Ces mises en scène audiovisuelles sont complexes à caler, car le résultat n’est visible qu’à la fin et les problèmes difficiles à anticiper. Il faut donc opérer très tôt les premiers essais d’intégration in situ. » Pour le spectacle du grand comble qui repose sur 14 projections simultanées sur vitres (projecteurs Vivitek 3 000 lumens), une vingtaine de pistes vidéo ont du être synchronisées en même temps, huit pistes à contrôler dans la cuisine et la bibliothèque… « Certains effets vidéo ont été réalisés sur place sur Watchout (version V5) que nous avons utilisé parfois comme outil de montage ! »
Le spectacle audiovisuel le plus difficile à mener aura été celui de la crypte gothique qui relate en une dizaine de minutes l’enfance de Jeanne au moyen d’un vidéo mapping 3D sur toute la surface et de trois écrans full HD verticaux Samsung 40 pouces. Réalisé avec Para- digme (Metz), ce vidéo mapping, qui recourt à cinq serveurs PRO Quad (4 flux), joue avec les contraintes architecturales du lieu comme ce soupirail situé juste dans l’axe et ne pouvant être occulté. « C’est l’architecture qui est ici mise en valeur et prend le pas sur l’audiovisuel. Celui-ci doit impérativement cacher toutes ses sources. » C’est là tout l’enjeu – et la magie – de l’Historial, un « espace muséographique du futur » selon la scénographe Clémence Farrell…