Attendu à la fois par les Français mais aussi par les chaînes de télévision, le défilé du 14 juillet à Paris mêle musiques et chants, en direct et en mouvement. Si l’enjeu d’image est fort pour le gouvernement, la prouesse technique est de taille pour celles et ceux qui œuvrent dans l’ombre afin de garantir chaque année une prestation du plus haut niveau.
Comment s’organise un événement institutionnel d’une telle ampleur, de plus en plus appelé, malgré un environnement RF encombré, à intégrer les codes du spectacle vivant et de l’industrie du live pour séduire le plus grand nombre ? Voyage dans les coulisses de l’événement aux côtés de BS Technology, avec la contribution de Shure.
Sous le regard d’une foule de spectateurs et plus de 10 millions de téléspectateurs, ce défilé demeure une prestation unique où l’audio occupe historiquement une place centrale qui n’a cessé de gagner en ampleur et en complexité au fil des années. Oubliée l’époque où la seule sonorisation consistait à mettre en place des enceintes 100 Volts destinées à faire marcher les soldats au pas. Aujourd’hui, la particularité du défilé réside dans la grande diversité des musiques et des fanfares en mouvement, réparties à différents points des Champs-Elysées.
De la cornemuse à la grosse caisse en passant par la clarinette, le piccolo et la cymbale, tous les instruments doivent être entendus. Les voix également. Que ce soit lors de l’animation initiale, composée en 2022 de l’ensemble de musique bretonne Bagad de Lann Bihoué et de la Musique des Équipages de la Flotte de Toulon, ou en clôture de défilé, avec pas moins de 200 chanteurs issus des lycées militaires, du Chœur de l’Armée Française et de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, venus partager la flamme aux côtés de la chanteuse Candice Parise.
Près de 130 liaisons micros HF et in-ear monitor assurées par les systèmes Axient Digital Shure ont été nécessaires pour réussir à capter l’ensemble des voix et des instruments de ces différentes formations musicales sur des distances importantes (2 200 mètres).
Principal défi : retransmettre et garantir une restitution homogène parfaite sur toute la surface, sans interférences ni interruption de signal, depuis le Rond-Point des Champs-Elysées jusqu’à la rue Royale. C’est là que le système antennaire, renforcé par plus de 150 enceintes et nécessitant plus de 20 kilomètres de fibre optique et câbles, joue également un rôle clé pour garantir des transitions musicales sans fausse note.
Il est en effet essentiel de tenir compte de la progression de certaines troupes, en particulier celles accompagnées de fanfares comme la Légion étrangère ou encore les troupes de Marine pour l’année 2022, et de pouvoir relayer leurs musiques respectives, en montant ou en baissant le son au fur et à mesure de leur avancée pour éviter que celles-ci ne se chevauchent. Suivies depuis la régie principale par un personnel de chaque formation musicale, les bascules se font à la note près pour donner le top et éviter les « couacs » et/ou les trous sonores.
« Il y a un enjeu incontournable derrière le 14 juillet : c’est nous qui captons le son du défilé et le donnons aux télévisions. Sans l’intervention de nos équipes techniques, il y aurait 10 millions de Français qui verraient à la télé les images de la cérémonie… sans le son. C’est la somme des compétences mises en œuvre qui fait que le résultat final sera à la hauteur non seulement des exigences des plus hautes autorités civiles et militaires présentes le Jour J, mais aussi des téléspectateurs. Il faut mettre le meilleur matériel à l’endroit où il lui sera permis de rendre le meilleur effet possible. Cela nécessite un véritable travail d’équipe tout au long de l’année entre les différentes parties prenantes. Il faut aussi prendre la mesure de l’aspect technique qu’il y a à mettre en œuvre, car on ne peut pas transformer la Place de la Concorde en Accor Arena en quelques secondes », explique Christophe, lieutenant-colonel de réserve (LCL) et manager du projet sonorisation « défilé militaire du 14 juillet » pour le ministère des Armées.
L’Épée de Damoclès des fréquences radio
Orchestrer sur toute la longueur des Champs-Elysées des signaux sonores qui vont du sabot d’un cheval sur le pavé au réacteur d’un avion de la patrouille de France en passant par les chœurs, est déjà en soi un défi technique majeur. Mais au cours des années est venu se greffer un nouvel enjeu : la réduction du spectre de fréquences alloué aux équipements audio sans fil, indispensable au bon déroulement des retransmissions live.
Le prestataire en charge de la sonorisation du défilé s’engage à fournir aux chaînes de télévision un signal audio clair, homogène et de haute qualité, matière première à partir de laquelle elles bâtiront leurs retransmissions avec des habillages spécifiques, reportages et éditions spéciales. Mais la richesse de cette matière première se trouve à la merci d’une ressource qui tend à se raréfier : les fréquences radio. Plus il y a de micros sans fil, plus il y a de fréquences. Sauf que le spectre UHF aujourd’hui disponible pour faire fonctionner ces équipements est nettement inférieur à ce qu’il était il y a cinq ans. En cause : l’arrivée de 4G et le déploiement intensif de la 5G.
Comme le souligne le LCL Christophe : « Ce qui est problématique, c’est le fait d’avoir de moins en moins de fréquences HF disponibles et de plus en plus de micros à mettre en œuvre pour nous permettre d’assurer la prestation dans de bonnes conditions. C’est un point dur car à un moment ou à un autre, le nombre de fréquences ne sera plus extensible et par défaut le nombre de micros également, ce qui aura peut-être pour effet de limiter la prestation que l’on pourra envisager de faire. »
« Il y a dix ans, nous avions plus de latitude sur les fréquences et nous pouvions, à titre exceptionnel, bénéficier de celles autrefois réservées à l’usage militaire pour la durée du défilé et les répétitions. Mais entretemps, ces fréquences ont disparu. Avant, pendant le défilé, c’était un micro par fréquence, alors que maintenant on est plutôt sur deux micros pour une fréquence. Nous devons jouer de plus en plus serré. Utiliser deux fois la même fréquence à différents moments de l’événement. Les mutualiser plus souvent qu’avant », ajoute Eric L’Herminier, directeur technique et PDG de BS Technology, en charge de la prestation technique globale sonorisation depuis vingt-cinq ans.
Et c’est le jour J que l’exiguïté du spectre HF se fait sentir le plus durement. Sous l’effet de l’affluence, les ondes sont proches de la saturation. Surtout vers neuf heures où rien qu’avec les signaux internationaux, les journalistes accrédités et les habillages des grandes chaînes (TF1, France 2), le seuil des 300 fréquences est atteint. Cela complique considérablement le travail des techniciens, qui doivent faire cohabiter une multitude de liaisons sans fil différentes, simultanément, pendant toute la durée de la cérémonie : près de 200 fréquences radio à coordonner dont 160 affectées aux microphones HF. D’où l’importance de bien se concerter en amont avec les différents organismes et services audiovisuels en envoyant début juillet une déclaration commune à l’Arcom et à l’ANFR pour réserver le plus de fréquences possibles.
Les fabricants de matériel audio sont obligés de s’adapter à cette nouvelle contrainte de ressources limitées, en proposant du matériel HF toujours plus performant qui réponde aux exigences de fiabilité, de sécurité et de discrétion requises par ce type d’événement. Sans parler des imprévus qui peuvent survenir sur le terrain et nécessiter de se renouveler et de s’adapter pour être toujours plus réactif.
Derrière la gestion des imprévus, un succès d’équipe
« La HF n’exclut pas que l’on puisse avoir des risques, comme par exemple, tout à coup, le micro de la chanteuse qui ne fonctionne plus, sans filaire à portée de main. C’est un vrai risque et il n’est pas acceptable pour un tel événement aux exigences dignes des plus grandes productions artistiques live. Nous n’avons pas droit à l’erreur. Même si l’ANFR sécurise les spectres, un problème comme celui-ci ne peut pas être résolu en trois secondes. Donc forcément, en premier lieu, ce que j’attends d’un système numérique, c’est avant tout la fiabilité. Il y a une logique d’utilisation qui nous pousse vers Shure aujourd’hui et c’est toujours l’intérêt de la prestation qui passe avant toute considération. Shure a sorti des produits qui méritent d’être là, on les prend », précise Eric L’Herminier.
La sonorisation ne se limite pas au Jour J. Elle commence dès les répétitions. Pendant plus d’une semaine, militaires et techniciens répètent au petit matin pour que tout soit en ordre de marche le 14 juillet. Un marathon d’autant plus éprouvant dans la durée que le personnel sur place ne dispose que de très peu d’heures pour équiper et déséquiper tout le monde, en même temps… sans perdre de vue le confort des soldats. Car il ne s’agit pas juste de poser un microphone, mais bien de trouver les mots et les gestes pour mettre à l’aise sans être intrusif, tout en apportant le plus grand soin au placement des émetteurs, des récepteurs et des micros qui doivent être le moins visible possible. C’est primordial au niveau de la télévision. Et les micros ne sont pas forcément sur les instruments. Ils peuvent être cachés ailleurs suivant d’où part le son, être sur le musicien. Le plus important, c’est de réussir à faire un mix homogène de la formation musicale quelle qu’elle soit.
En vue d’établir l’ensemble des balances, l’équipe technique récupère en amont le pupitre de formation musicale de manière à savoir quelle en est la composition pour adapter les micros aux instruments à sonoriser et aux spécificités de chaque formation. Pour être au plus près des conditions réelles, il est même prévu que le défilé aérien soit simulé avec des bruits d’avion enregistrés.
Plus d’un mois d’installation, des semaines de préparation et deux heures pour séduire : le jour de la cérémonie n’est autre que le produit fini de tout ce qui a été mis en œuvre depuis les neuf jours de répétition qui ont précédé l’événement, et de ce qui a été anticipé les semaines et les mois avant.
Bien que la maquette du défilé proposée par la cellule Protocole, Cérémonies Musiques du Gouverneur Militaire de Paris ait été validée, et en dépit d’un cahier des charges millimétré et chronométré à la seconde près, il peut arriver que les équipes sur place se retrouvent à devoir opérer des changements de dernière minute en raison de demandes spécifiques ou de contraintes météorologiques particulières. En juillet, il peut faire 35°C, tout comme il peut pleuvoir des cordes pendant des nuits et des nuits jusqu’au jour de la cérémonie. Soumis à rude épreuve, le matériel doit être adapté, fiable et robuste, pour fonctionner parfaitement malgré l’humidité qui altère la propagation des ondes radio.
Finalement, pour le LCL Christophe : « L’adaptabilité est notre maître mot. Il faut être en permanence capable de répondre le plus rapidement possible aux desiderata du commandement, et adapter en conséquence les moyens humains et techniques. Je me souviens qu’une année, le président Chirac a demandé à son command car de s’arrêter au niveau du Rond-Point des Champs-Elysées pour aller serrer des mains. Ce n’était pas prévu. Charge à nous de réagir pour que justement la diffusion sonore à ce moment-là puisse être adaptée immédiatement, de manière à ce que l’ensemble continue à évoluer dans de bonnes conditions. Il n’existe, à ma connaissance, aucun événement qui offre une prestation de sonorisation similaire à celle du défilé militaire du 14 juillet et qui réunisse autant de contraintes aussi importantes. C’est ce qui confère à cette prestation son caractère unique et incomparable. »
Entre le nombre d’équipements à synchroniser, les difficultés de réduction du spectre des fréquences, l’importance majeure de l’événement, beaucoup de problématiques ont dû être surmontées et devront l’être encore pour le défilé du 14 juillet de cette année 2023.
Principaux points clés
- 4 fanfares en statique (micros filaires) et 5 en dynamique (micro HF)
- 200 chanteurs (lycées militaires, Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, Chœurs de l’Armée Française)
- 50 à 60 techniciens et ingénieurs du son mobilisés
- Près de 200 fréquences radio
- 128 liaisons HF micros et in-ear monitor Shure Axient Digital sur un total de 160
- Près 140 émetteurs/récepteurs Shure ADX1M et AD1
- Plus de 150 enceintes, 20 kilomètres de fibre optique et câbles