Si les équipes du Centre Pompidou avaient l’envie de créer un jeu vidéo depuis quelque temps, Prisme 7 est né grâce à un appel à participation du ministère de l’Éducation nationale. « L’objectif était de concevoir un jeu vidéo à visée pédagogique », explique Marie-Constance Mendes, chargée de projet et responsable du studio 13/16 au Centre d’art et de culture Georges-Pompidou. « Dès le départ, l’idée a été de mettre en avant les collections du musée et d’imaginer un outil de médiation afin de les valoriser », poursuit-elle.
Le défi est de taille : le musée expose 6 000 œuvres en permanence et regroupe au total 120 000 œuvres d’art contemporain et moderne. Expliquer le processus créatif n’est pas une nouveauté pour ce musée qui, depuis une quarantaine d’années déjà, propose des ateliers à destination des enfants et des adolescents, un Fablab, et dispose même d’une galerie dédiée à ces publics jeunes.
« Nous avons repris la même méthode pédagogique. En confrontant les enfants à une pratique artistique, on les guide dans la compréhension des œuvres. » Ce qui est plus inhabituel, en revanche, est d’aller vers l’univers du jeu vidéo. « Nous voulions aussi, grâce à ce médium, offrir une expérience hors les murs et permettre une utilisation partout, dans les transports, comme en milieu scolaire, à l’étranger, etc. », glisse la jeune femme.
Prisme 7, une première en France
Ce pont entre le monde de l’art et du jeu vidéo est de fait une première. Il ne s’agit pas d’une visite virtuelle de musée ou d’une explication d’un tableau, d’une œuvre, mais d’une véritable création autour de l’art. Il est l’acteur du jeu. Son nom, Prisme 7 reflète parfaitement l’objectif. Le prisme, en géométrie, définit un polyèdre s’appuyant sur deux bases parallèles, ici l’art, contemporain et moderne, et le jeu vidéo. Le chiffre 7 propose d’ajouter un niveau virtuel au musée niché au creux du quartier de Beaubourg.
Afin de créer Prisme 7, l’institution lance ensuite un appel d’offres, remporté par Bright et Game in Society. « Le choix s’est porté sur ce binôme, le seul à avoir proposé de déconstruire le processus narratif et créatif des œuvres. Cela correspondait parfaitement à notre travail de médiation culturelle », souligne Marie-Constance Mendes.
Le défi relevé par Bright et Game in Society était de représenter avec la grammaire du jeu vidéo des œuvres d’art contemporain et moderne. « Il s’agissait de faire rencontrer ces deux arts, de représenter ces courants d’art, tout en les intégrant aux contraintes du gameplay, du ludique. Ce croisement était complexe à mettre en œuvre, car ces deux champs artistiques n’ont pas l’habitude de dialoguer », explique Abdel Bounane, CEO de Bright, qui a imaginé la direction artistique de Prisme 7, Game in Society, le développant dans le logiciel Unity.
Mais avant de coder et d’imaginer le gameplay, il a fallu définir quelles œuvres allaient être au cœur du jeu. « Nous avons choisi de parler des œuvres phares du Centre Georges-Pompidou : Picasso, Kandinsky, Klein, etc. », reprend Marie-Constance Mendes. Deux thématiques sont définies : la couleur et la lumière constituent les niveaux de Prisme 7.
Une fois ces thèmes définis, Bright et Game in Society ont plongé au cœur des collections du Centre, afin de bien comprendre les démarches des artistes, et ont proposé des connexions entre ces derniers. « Ensuite, on a défini sept sous-niveaux. On a aussi anglé les partis-pris et sorti une thématique par niveau », ajoute Abdel Bounane.
Concrètement, le joueur incarne un nuage de particules, de molécules colorées ou lumineuses selon les niveaux joués. « C’était l’une des idées importantes de proposer une représentation non incarnée et non genrée », précise Marie-Constance Mendes. Le premier niveau vise ainsi à faire comprendre aux joueurs les codes couleurs du Centre Pompidou : conduites d’air conditionné bleues, tuyaux d’eau verts, lignes électriques jaunes, et espaces de circulation rouges… Si chaque niveau a son identité, son gameplay spécifique, celui définissant la couleur fonctionnelle, s’appuie sur l’architecture du Centre Pompidou.
« Si le joueur approche du bleu, il sera repoussé comme par un flot d’air », détaille Abdel Bounane. Quatre chapitres sont axés autour de la couleur et trois, de la lumière. Au total, une soixantaine d’œuvres sont explorées. « Chaque chapitre du jeu est relié à un processus créatif d’un artiste en particulier. Il y a une passerelle entre l’action du joueur et la manière dont cet artiste a fabriqué son œuvre », ajoute Émilie Bonnet, cheffe de projets du Pôle éducation artistique et formation, au Centre Pompidou.
Plus qu’une simple présentation de la production d’un artiste, chaque niveau vise à déconstruire un concept. « On s’est focalisés sur des concepts simplifiés afin de les rendre accessibles à tous. Il a fallu extraire la partie la plus préhensible des œuvres et des intentions des artistes afin que cela soit ludique », reprend Abdel Bounane, très fier d’avoir travaillé sur ce jeu vidéo avec le troisième musée d’art contemporain et moderne du monde.
Donner envie d’aller au musée
Pour explorer les concepts propres à l’œuvre de Kandinsky, le choix a été de s’appuyer sur l’émotion créée par les couleurs de ses créations. « Dans ce niveau, des couleurs sont réparties au sol et le joueur va déclencher des sons et des émotions différentes. Il va devoir les reproduire de mémoire à travers des formes et des couleurs qui vont lui être proposées. Ce niveau est assez complet : il marie les émotions et le sound design, qui lie celles-ci aux couleurs. Puis, cela permet de décortiquer la notion de synesthésie chez Kandinsky. Ensuite, le challenge joue sur la mémoire », ajoute-t-il.
La musique a été développée par un chercheur de l’Ircam. Un autre niveau s’articule ainsi sur la lumière physique. « Il s’agit de montrer que la lumière crée un impact sur la manière d’appréhender l’espace. Pour avancer dans le jeu, il faudra se poser sur l’ombre, et la suivre au gré de ses mouvements. » Le joueur, incarné par ce flux, se construit grâce à l’art, évolue et se renforce au gré des niveaux. « En fonction des niveaux, il s’agrémente de nouvelles particules. De plus, le joueur collectionne des œuvres qu’il visualise dans le niveau ou dans une carte globale comme dans un jeu vidéo plus classique, le but idéalement étant de remporter toutes les œuvres », glisse Abdel Bounane.
L’une des complexités rencontrées par les créateurs numériques de Prisme 7 a été de ne pas déformer le propos des artistes et des concepts, de trouver comment le faire passer l’art contemporain et moderne dans le champ du jeu vidéo. « Cela a nécessité une importante préproduction notamment en termes de game design et de level design, mais aussi un travail de postproduction, sur la lumière et le design pour rendre ce jeu beau et agréable », précise-t-il.
Encore à l’état de test lors de sa présentation à la Paris Games Week, Prisme 7 a reçu d’excellents retours, non seulement des joueurs mais aussi des artistes contemporains. « Créer ce jeu a permis de travailler avec de nombreux intervenants en transversalité. Nous avons énormément appris sur les contraintes techniques, le gameplay », glisse Emilie Bonnet. La porte n’est pas fermée pour de nouvelles propositions.
« Nous avons rencontré, à la Paris Games Week, des artistes d’art contemporain qui ont très envie de travailler avec nous sur ce médium », sourit Marie-Constance Mendes. Quant aux enfants, une fois la prise en main passée, l’envie d’arriver au bout du jeu les a pris. « C’est aussi une manière de les inciter à découvrir les œuvres au sein même du musée », ajoute Élodie Bonnet. C’est d’ailleurs dans l’enceinte du Centre Pompidou, dans l’espace multimédia de la BPI, que vont être réalisés les nouveaux tests du jeu vidéo, après Prisme 7 sera mis à disposition du public, à l’instar des podcasts du musée.
Article paru pour la première fois dans Sonovision #18, p.44-45. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.