JOUR J : Jeudi 6 décembre 2018
14 h 30 : une régie chargée
« On a fini les réglages laser à 5 h du matin, annonce Edoardo. Tout est parfait. Il n’y a plus qu’à appuyer sur Play ! » L’équipe commence à se sentir à l’étroit dans la petite régie. Sur quelques mètres carrés, il y a plus de machines que d’hommes !
Au milieu, on trouve l’ordinateur et le serveur master du logiciel Pixera d’AV Stumpfl. Le successeur de Wings 7, très apprécié par Ocubo. « Depuis des années, on est habitués à utiliser Wings, qui est performant pour construire un projet et tout calculer, note Edoardo. Comme on est partenaire avec AV Stumpfl, on voulait inaugurer la bêta de Pixera sur ce spectacle. » C’est ce qui explique la présence de Florian Eder, mandaté par le développeur pour accompagner cette première. Après avoir formé Ocubo au Portugal, Florian aide donc Sandro pour le projet final, la calibration, la timeline…
Pixera a le rôle de chef d’orchestre. Le serveur master communique via câble réseau avec quatre serveurs esclaves à l’étage. Trois sont reliés en DisplayPort à quatre projecteurs, et se coordonnent par leurs cartes de synchronisation. Un quatrième « slave » sert de backup.
Pixera envoie également les ordres de la timeline à l’ordinateur du laser, et le signal sonore au contrôleur son. Sur le balcon, un émetteur envoie les données de son en fréquence 5G. « On utilise Xirium, la plus stable des liaisons wireless », pointe Edoardo.
Sur la cathédrale, des récepteurs Xirium pilotent les deux subwoofers de 3 000 watts et trois T12 de 350 watts. « De chaque côté, il y a un récepteur actif, et un backup en cas de souci. Pendant la fête, on aura une personne sur place, prête à switcher le récepteur en cas de problème. » On s’étonne de trouver une console lumière GrandMA. « C’est un peu démesuré : c’est pour les spots de notre balcon », sourient les techniciens.
En plus de Xirium, Ocubo fait appel à un autre outil de pointe : une caméra de calibration automatique Vioso. « Vu la position des projecteurs, qui ont des angles différents, réunir les douze images était complexe », plaide Edoardo. Intégrée au logiciel Pixera, « la Vioso scanne la surface en 3D, calcule automatiquement le softedge, le blending et le chevauchement », décrit Florian. En deux heures, on obtient un fichier avec toutes les informations de réglage. Un gain de temps pour gérer la distorsion entre les douze projecteurs et le chevauchement fixé à 10 %.
16 h : rencontre avec le régisseur
Un homme se présente avec un talkie-walkie. « Bonjour, Edoardo est là ? Je suis Kevin Serre, régisseur à Saint-Jean. » Sur chaque site majeur, un régisseur fait le lien entre le PC sécurité et les artistes. Il confie un talkie à Edoardo, demande à voir le générique et le message invitant le public à sortir. « La voix, c’est très bien ! » « On le passe trois fois, répond Edoardo. Après, c’est toi qui me dis quand afficher l’image de pause. »
À Lyon, les spectacles ne sont pas en boucle automatique. « À Saint-Jean, ce sont des paquets de 2 000 à 2 500 personnes qui entrent et sortent, sans compter la file d’attente, explique le régisseur. On doit assurer de la fluidité. » Il va donc décider, avec le PC sécurité, du lancement de chaque boucle. « Quand il y a peu de monde, c’est toutes les deux ou trois minutes. Mais quand il y a foule, on attend sept ou huit minutes, pour faire entrer le maximum de monde. »
Edoardo signale qu’un compte à rebours de 30 secondes porte la boucle totale à 8’30. « C’est toi qui me dis à chaque fois de lancer ? » « Oui, reprend Kevin. Je te dis “On envoie”, et tu confirmes. » Edoardo regarde l’heure. « À 17 h, je peux passer 10 secondes de vidéo, pour voir si ça marche ? » « Oui, mais vraiment un petit bout ! » Kevin Serre semble également impatient. « Je n’ai pas encore vu le projet. Je pense que ça va être chouette ! »
17 h : le stress monte
Après avoir rempli – non sans mal – les documents Sacem, le producteur trouve le temps long. « Il y a un peu de stress. On est tous bien fatigués ! » Il s’approche de la régie. « On lance le test. » Florian, Telmo et Sandro sont à pied d’œuvre. « J’éteins les lumières de la place ? » « Non. » « Avec ou sans son ? » « Sans ! » La cathédrale dévoile quelques images. « OK, Stop ! Tout marche », lance Edoardo. « Je veux être sûr. On relance avec le son. » On entend des cris de joie sur la place. « OK, Stop ! » Le producteur a le sourire. « Florian, tout marche ? » Florian acquiesce. Edoardo soupire. « On est prêts. C’était la presque première ! »
L’équipe n’a plus qu’à attendre. « On n’est même plus impatients, à ce moment-là », argue-t-il. Sandro regarde son ordinateur. Son espoir : « qu’on appuie sur la barre espace et que tout se passe bien. On a tout fait pour obtenir une belle couleur, vivante et naturelle. Ce n’est pas juste un mapping, c’est un projet d’art. »
18 h 30 : première image
La place se remplit peu à peu. « Qui aurait cru qu’on se retrouve ici, un jour, sur la place la plus importante de la fête », philosophe Edoardo. « Le plus important, c’est que le public applaudisse après chaque représentation… » Sandro lance l’image de pause. En français et anglais, elle rappelle que ce spectacle a été réalisé « sans aucune image de synthèse ». On entend un murmure dans la foule. Edoardo vérifie la télécommande. Fournie par la ville, elle permet d’éteindre l’éclairage de la place. « J’ai également les clés de la cathédrale », glisse-t-il. Les minutes passent. Chaque fois que le talkie émet un son, un frémissement parcourt l’équipe. Edoardo confirme au combiné être en « stand-by ». Plusieurs membres du staff d’Ocubo arrivent. On est près du but.
19 h 00 : la Première
« Nerveux ? Pas du tout ! » L’heure H est arrivée. Tout à coup, le talkie-walkie s’anime. « Edoardo pour Kevin… » Le producteur saisit l’appareil. « Oui Kevin. » « Tu peux envoyer s’il te plaît ? » Le moment est venu. « Merda Merda Merda », lâche le producteur. « Go ! » La place s’éteint. La barre espace est appuyée. Le compte à rebours commence. Le silence se fait et la magie opère. Le spectacle est extraordinaire, les applaudissements sont massifs. Chez Ocubo, on se congratule. « Ça marche ! », lance Edoardo. « Il faut être prêt pour relancer. À 23 h 05, on pourra fêter cela ! ».
19 h 15 : d’autres projets fous ?
Le sourire aux lèvres, Nuno rejoint la régie avec Carole Purnelle, directrice d’Ocubo. Tout le monde se tombe dans les bras. « Je suis heureuse du résultat, confie-t-elle. On a fait quelque chose d’unique. Filmer des fleurs azotées qui se cassent sur la maquette… » Pourquoi un tel pari ? « Nous devons nous adapter à la demande des villes et du public, qui réclament des expériences nouvelles, du jamais vu. Au fil du temps, le public est plus éduqué, plus critique. Les effets d’images de synthèse sont connus. Les créateurs sont contraints d’innover, en se focalisant sur des contenus plus substantiels. »
Elle ne regrette pas l’investissement. « Ce serait moins cher de prendre deux jeunes qui sortent d’école et qui construisent un film en trois mois. Mais on est dans une démarche artistique de création. Quand on a un budget, on le consomme jusqu’au bout. » Répéteront-ils l’expérience ? « On doit toujours se réinventer. On trouvera d’autres façons de faire des images ! ».
À Lyon, le mapping en recul ?
Alors que les objets lumière se multiplient, le nombre de mappings est en nette baisse lors de cette édition. Si cela tient aux travaux qui touchent des sites emblématiques (Terreaux, Théâtre antique…), Jean-François Zurawik, responsable de l’événement, ne cache pas qu’il pourrait s’agir d’un « virage ». « La Fête, ce ne sont pas que des projections. Peut-être que l’on s’oriente vers moins d’illuminations de bâtiments et plus d’objets lumineux. Mais s’il y a moins de mappings, ceux qui restent sont très beaux ! »
Lire la première partie de l’article >> Dans les coulisses du mapping de Saint-Jean (1ère partie : jour J-1)
Extrait de l’article paru pour la première fois dans Sonovision #14, p.22 -26. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.
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